Histoires en ligne

Voici une série d’histoires courtes, les Courts-Circuits, écrites dans les années 90 en marge des « Histoires sous Haute-Tension » ; et que l’auteur rend aujourd’hui accessibles à tous de façon gratuite. Elles donnent un aperçu du style Covalis, plus largement développé dans les romans en vente (voir boutique).

Par ailleurs, certaines « Histoires Sous Haute-Tension » sont désormais disponibles à la vente sur ce site, mais sous forme de fichiers PDF à demander à l’attaché de l’auteur, contre un prix de vente très attractif. (voir la page «  »HSHT téléchargeables »).

En attendant, faites-vous votre opinion !

 

« Courts-circuits », résumés éclairs :

 

 

Une femme entichée de son patron, qui pourtant la délaisse ; a tout prévu pour sa vengeance, sauf un impondérable…

  • Un nom trop commun :

La particularité du vol pris par John Smith pour un voyage d’affaire : tout le monde s’appelle comme lui !

  • Le forfait :

Une histoire épistolaire : une agence recrute un tueur à gages amateur, avec une dernière clause imprévue…

  • Volte-face :

Un magistrat ayant disparu, la mafia le remplace par un sosie ; mais la manœuvre se retourne contre elle…

  • « Je laverai » :

Et si un lavabo pouvait parler ? Comment raconterait-il le fait divers qui se déroule devant lui ?

  • Brainclash :

Un électricien frappé par la foudre peut réaliser tous ses vœux, mais est-ce vraiment un avantage ?

  • Cynos :

À Rennes, un maniaque décime tous les animaux du quartier : cloîtré chez lui avec son chien, un habitant reste sur ses gardes…

  • Le verso de la page :

Nils Tanner, petit écrivain sans envergure, se rend compte que l’histoire macabre qu’il écrit se réalise en vrai…

  • Sage comme une image :

Joshua est un enfant sage et craintif, qui s’enferme dans sa chambre quand ses parents s’absentent ; mais il ne sait pas ce qui l’attend…

  • L’opportuniste :

Un individu étonnant qui infiltre la pègre, fait preuve d’audace jusqu’aux portes de la mort.

  • Malesuada Fames :

Un peu d’animation dans ce village de montagne isolé, avec l’arrivée d’une étrange fête foraine…

  • Les ubiquistes :

Une journée de travail normale pour Hervé Lambert, courtier en assurances… jusqu’au moment où il « les » croise partout !

  • Koma, presque mort :

Alors que les urgences d’un hôpital reçoivent les rescapés d’une catastrophe ; Sonia, une jeune infirmière, est confrontée à la chambre 228…

  • Les orgueilleux :

Sur un monde lointain, les suffisants seigneurs d’un roi s’entretuent pour ses faveurs ; mais personne ne peut prédire le destin de son successeur…

 

 

 


 

Du bout des doigts

 

Pauvre femme.

Jaimie Silk avait essuyé pas mal d’échecs sentimentaux durant sa vie : elle qui aurait voulu se marier, avoir des enfants, vivre heureuse jusqu’à la fin de ses jours ; elle n’avait réussi en fait qu’à accumuler les bides et les lapins. Elle aimait les hommes. Elle en était affreusement dépendante, et son palmarès avait de quoi faire pâlir d’envie n’importe quelle prétendante. Et pourtant, en ce monde où la grâce et les canons despotiques de la beauté consacraient la sveltesse, elle était plutôt quelconque. Brune aux cheveux courts. Yeux noirs. Visage en U mal défini. Et pour tout dire, légèrement potelée des cuisses.

Mais elle savait séduire. Lors des soirées mondaines de la haute société new-yorkaise, où l’on pouvait voir défiler des mannequins élancés aux regards glamours qui papillonnaient d’un convive l’autre ; les robes de soirée aux décolletés plongeants et aux chutes de reins vertigineuses, offraient une concurrence implacable. Jamie, elle, avait opté pour une robe moulante aux reflets irisés, plutôt noire pour l’amincir. Elle avait droit aux jets de venin méprisants sortis des regards des bécasses rivales. Des statues de la liberté aux fonctions hiérarchiques élevées ; alors qu’elle, elle n’était qu’une secrétaire, excellente au demeurant, en lice pour le poste d’attachée de direction, et accessoirement amourachée de son patron.

Un patron qui l’avait « trompée » avec l’une de ces grues. Jaimie ne souhaitait pas devenir un simple numéro de téléphone dans un harem ! Désespérée par son nouvel échec avec le nouvel amour de sa vie, elle tenta ce soir-là le tout pour le tout, lors d’une nouvelle « party of technocrates ». Qu’importaient tous ces fastes et lumières, la luxuriance ne devait pas procéder de la luxure.

Aussi avait-elle décidé de tuer Mr Loftin, son patron bagué et adultère. Par désespoir. Et finalement par haine. Dans les toilettes pour dames elle se badigeonna les mains d’arsenic. La mort par la séduction ou par le savoir-vivre serait sa plus belle récompense : un baisemain de bon augure dans ce milieu huppé, était courant, et même conseillé ! Ce serait parfait ! Connaissant Loftin, celui-ci lui lècherait les doigts avec appétit ! Ce ne serait pas la première fois ! Mais ce serait la dernière…

Nerveuse, excédée, elle avança avec application dans les dédales illuminés d’un très grand duplex dominant les lumières de Big Apple. La nuit était constellée d’étoiles ; le logement était constellé d’invités.

Volontairement, elle préféra rester seule dans un coin pour éviter d’avoir à saluer une innocente victime. Mais elle avait peur d’être accostée par un quelconque golden boy de la dernière heure, ou un self-made-man dix fois plus âgé. Champagne et petits fours circulaient entre tous ces convives bardés de réussite et d’hypocrisie, perdus dans des conversations stériles et nombrilistes.

Elle resta seule sur la terrasse, sans rien boire ni manger, attendant son heure.

« Jaimie ! Que fais-tu là ? »

Jaimie sursauta. Se retourna. Loftin lui sourit tout en enserrant la taille d’une belle ivoirienne au bustier rouge.

« Je… J’avais besoin d’être seule…

― Oh, très bien… Jaimie, je te présente Flora, notre nouvelle recrue, qui s’occupera des traitements de textes. »

Long échange de regards de type Kalatchnikov. Poignée de mains froide… et poisseuse ! Flora grimaça de dégoût. S’essuya la main dans un mouchoir. L’ambiance fut glacée.

Loftin sourit avec bonhommie, un peu gêné. Jaimie, elle, ne se faisait pas d’illusions, et tant qu’à faire, autant tuer cette nouvelle catin qui lui faisait encore plus d’ombre !

« Allez, permettez, jeune demoiselle, que je sacrifie la tradition… »

Jaimie leva la main ; Loftin la prit mais Flora, mécontente, sortit une baguette et frappa la main de sa rivale.

« Qu’est-ce que tu fais ? lança un Loftin surpris. Tu es folle !

― Je n’aime pas son regard méprisant. »

Folle de rage et de douleur, Jaimie n’eut même pas le temps de se rendre compte qu’elle venait de se fourrer par réflexe ses doigts endoloris et enduits d’arsenic… dans la bouche !

 


Un nom trop commun

 

Pour qui n’aime pas son nom parce qu’il le trouve quelconque, ou parce qu’il est trop répandu, voici l’histoire d’un homme tout à fait banal, un minable petit homme d’affaire du nom de John Smith. Le genre par ailleurs à complexer sur son physique très quelconque (style intello à lunettes mais pas plus), sa taille (1m60), sa vie monocorde dénuée de toute fioriture ou du moindre vent de folie qui génère l’aventure. Et son nom. Ah, son nom ! Tellement commun qu’on pouvait se demander s’il était encore propre ! Tellement banal et répandu que le simple fait de mettre ses initiales en majuscules avait tout de suite un côté désuet ! Mais il n’avait jamais mis les pieds dans les services administratifs de la mairie pour le changer, sur l’instante demande de sa femme qui, elle, trouvait ridicule de vouloir remanier ses racines à cause d’un complexe.

Smith habitait à Crawley, au sud de Londres, et devait se rendre en avion à Birmingham pour son travail. Plus précisément pour un contrat. L’année venait de démarrer avec une puissante giboulée de neige ; et une tempête sévissait sur l’aéroport encore plongé dans la nuit. L’équipage de son avion attendait l’autorisation de la tour de contrôle pour décoller, tout au moins pour s’engager sur un tarmac menacé par le gel soudain. Situation qui risquait de venir perturber les vols. Déjà, ça perturbait visiblement les éclairages, qui défaillaient par moments.

Assis près d’un hublot, Smith regardait les engins qui s’activaient pour déblayer la piste à la lumière de puissants spots. Il n’avait pas peur des voyages en avion ; il était confiant dans le personnel et ce, malgré ce que pouvaient en dire les médias.

Vêtu de son habituel complet gris, la gabardine posée sur les genoux, il ouvrit sa mallette et vérifia les clauses du contrat qu’il n’avait même pas eu le temps de relire. Bon, ça commençait bien : la partie contractante de Birmingham s’appelait… Smith Corporation ! Rien de plus banal ! Le reste des papiers était réglementaire ; même la signature de son patron… et homonyme John Smith !

« Ils en mettent un temps ! Qu’est-ce qu’ils fichent ? »

Smith se tourna vers un homme guindé assis à ses côtés, qui jetait lui aussi un coup d’œil par leur hublot commun entre deux défaillances de veilleuses.

« Et ce temps qui se dégrade… Je n’aime pas ça… Vivement que l’on décolle, n’est-ce pas ? »

Smith se contenta d’acquiescer de la tête.

*

Finalement le décollage eut bien lieu dans les minutes qui suivirent, et l’avion s’éleva vers les grosses strates nuageuses et enténébrées, là où l’aurore n’avait pu percer. Smith referma son attaché-case. Il remarqua le billet d’avion de son voisin négligemment posé sur sa tablette ouverte : encore un John Smith ! Coïncidence…

Quelques minutes plus tard, il entrevit le badge de l’une des hôtesses, une jolie blonde qui allait et venait dans l’allée : elle s’appelait… Smith ! Cependant ce fut une rousse qui fut interpelée par les jeunes hommes de devant. Smith prêta l’oreille. Le jeune dandy de gauche dit à voix basse à l’hôtesse :

« Dites-moi, mademoiselle… J’ai remarqué que vous vous appeliez Smith, comme moi et mon copain, et vous n’avez pas de bague de mariage. C’est une sacrée coïncidence, vous ne trouvez pas ? Ça vous dirait de faire un brin de causette avec nous ?

― D’accord, si vous voulez, mais une minute, pas plus…

―  C’est quoi, votre petit prénom ?

― Vous ne me croirez jamais… John !

― Quoi ? Un prénom de gars ? Et figurez-vous que j’ai le même ! Pour une coïncidence ! Ça, c’est la meilleure ! Ce matin est un jour marqué par le destin ! Non, ne riez pas, c’est vrai ! Vérifiez mon billet : je m’appelle John Smith !  Et mon pote aussi ! Avec vous, ça fait trois ! Figurez-vous qu’à l’aéroport, j’ai vu un John Smith aller trouver un autre John Smith pour lui parler des problèmes générés par un clochard du nom de John Smith qui faisait la manche devant l’entrée du hall d’attente. C’est alors que John Smith a dit à John Smith que John Smith n’était pas aussi dangereux qu’un autre John Smith, un voleur à la tire qui avait déjà dérobé des objets de valeur à des passagers dont la liste fut facile à établir mais difficile à vérifier : que des John Smith ! Vous vous rendez compte ? John Smith qui dit à John Smith d’aller trouver John Smith pour parler de John Smith ayant volé un certain John Smith qui devait prendre un avion dans lequel les hôtesses s’appellent toutes Smith ! Ça n’a ni queue ni tête, cette histoire, vous ne trouvez pas ? »

L’hôtesse laissa échapper un petit rire :

« Et vous n’avez encore rien vu : le commandant de bord et son équipage, ainsi que tous les passagers de ce vol, s’appellent John Smith ! Les probabilités d’une telle coïncidence sont si basses que cela tient tout simplement du miracle ! Mais il n’y a aucune convention des homonymes Smith prévue dans la région pour expliquer ce phénomène !

― C’est du délire, ce truc ! Ça rime à quoi ?

― Je ne peux pas vous répondre ; je n’en sais rien. »

Déconcerté, le petit Smith homme d’affaires ressentit le besoin de se lever et d’aller aux toilettes, où il se rafraîchit le visage avec un certain malaise. Que des Smith ? Impossible ! La terre entière ne pouvait s’appeler ainsi ! Ça revenait à réduire toute la famille humaine à une seule et même identité ! Un cauchemar irréel !

Passablement irrité, John Smith observa les défaillances ponctuelles des lumières, et regagna sa place. Son voisin venait d’ouvrir son journal ; il n’en vit que des bribes : le chancelier Smith recevant le président Smith ; le footballeur Smith en procès ; une affaire de fausses factures incluant un certain John Smith directeur d’une importante société, etc. Inutile d’en lire plus : c’était de la folie ! Il héla une hôtesse et demanda un verre d’eau.

« Vous êtes pâle, monsieur… Vous êtes malade ?

― Je… Oui… Non… Ça va aller. »

L’homme assis devant parla à son copain :

« Tiens, tu connais pas la dernière, John ? C’est l’histoire d’un bonhomme fringué en costume cravate gris qui monte dans un bus à Londres. Et alors là, surprise : le chauffeur et toutes les personnes présentes sont pareilles ! Que des noirs habillés exactement comme lui, occupant tous les sièges ! Et sur leurs vestes, un insigne où est écrit John Smith ! Alors le pauvre type monte à l’étage pour voir s’il n’y a pas une place. Mais qu’est-ce qu’il voit ? La même chose ! Que des noirs habillés comme lui, occupant tous les sièges ! Et tous s’appellent John Smith ! Alors le gars il entrevoit à l’arrière un blanc habillé en indigène. Il s’approche de lui et lui demande : « Docteur Livingstone, je présume ? » »

Les deux hommes partirent dans un rire à peine étouffé.

Smith serra des dents. Surtout ne rien dire ! À quoi ça servirait de réagir ? Tout ceci devait être une funeste farce ! Mais de qui ? Et pourquoi ? Ça ne tenait pas debout, cette histoire ! Et puis, tout nom mis à part, cela ne le visait pas personnellement !

L’avion atterrit à Birmingham sous le même temps de chien et les interférences électriques. Le jour s’était levé, mais pas la météo. Une fois dans la place, Smith entreprit de trouver son correspondant dans le hall de l’aéroport. Le temps de faire un crochet par les téléphones pour lorgner les bottins téléphoniques et s’assurer qu’il ne perdait pas la tête… Si, en fait il la perdait ! Sous des éclairages défaillants, il découvrit des milliers de pages remplies de noms de communes, de rues et de numéros de téléphone en tous genres… au seul nom de John Smith ! Dupliqué des milliers de fois en petit sur d’infinies colonnes !

Pâle, quelque peu étourdi, presque dans un état second, John Smith chercha son correspondant à l’accueil : il y eut tout un groupe de correspondants, hommes et femmes, aux pancartes diverses et variées, pour un seul nom placardé : John Smith ! Pour le contrat, ça s’annonçait plutôt mal ! Impossible d’identifier le bon intermédiaire !

John Smith fut pris d’une crise d’hystérie…

*

…et se réveilla en sursaut dans l’avion ! Il reprit son souffle. Il s’essuya le front avec son mouchoir. Regarda par le hublot : il faisait encore nuit, et le personnel de la piste déblayait la neige du tarmac. C’était juste un cauchemar ! Il s’était assoupi quelques instants ! Il respira en tremblant.

Il sourit à son voisin, qui le regardait d’un air inquiet. Bref échange de formules de savoir-vivre…

« Un mauvais rêve ?

― Oui… Oui… C’est ça…

― Je sais ce que c’est ; ça m’arrive de temps à autres… »

Smith ouvrit sa mallette et vérifia les clauses du contrat qu’il n’avait même pas eu le temps de relire. Bon, ça commençait plutôt bien : la partie contractante de Birmingham ? Mann Corporation ! Et son PDG s’appelait James Mann. Il s’en souvenait en effet pour l’avoir déjà eu au téléphone…

« Ils en mettent un temps ! Qu’est-ce qu’ils fichent ? »

Smith se tourna vers cet homme guindé assis à ses côtés, qui jetait lui aussi un coup d’œil par leur hublot commun entre deux défaillances de veilleuses.

« Et ce temps qui se dégrade… Je n’aime pas ça… Vivement que l’on décolle, n’est-ce pas ? »

Smith se contenta d’acquiescer de la tête, intrigué par cette redite de son rêve. Pour le coup, il regarda de plus près le billet de son voisin, posé négligemment sur sa tablette… et son nom, écrit en gras : James Mann ! L’homme ouvrit son journal ; Smith n’en vit que quelques bribes : le chancelier Mann recevait le président Mann, le footballeur Mann en procès, une affaire de fausses factures impliquant un certain James Mann, etc. Smith n’était plus le patronyme universel : il en était l’antonyme ! Le parfait étranger !

À la stupeur générale il piqua une crise d’hystérie…

 


Le forfait

 

Annonce parue dans le Boston Chronicle du 5 septembre 1994 :

« Pour qui aime les petits boulots rapportant gros, recherchons d’urgence commis assez jeune, sans expérience préalable, pour une mission spéciale de quelques semaines, comprenant des risques. Rémunération intéressante pouvant s’accompagner de primes forfaitaires. Possibilité d’embauche définitive. Nous privilégions les personnes jeunes et en bonne santé. De préf. sans attaches. Écrire à l’adresse suivante. Prévoir enveloppe retour. »

« Boston, le 5-9-94. Madame, Monsieur, suite à votre annonce parue dans le journal Boston Chronicle, je vous fais part de mon vif désir de travailler avec vous. Je suis jeune (j’ai 22 ans), j’ai été commis six mois en intérim et j’aime prendre des risques. Si vous avez beaucoup de candidatures, sachez que je suis prêt à tout pour travailler ; ma volonté et ma persévérance à la tâche font de moi un battant qui ne demande qu’à vous apporter entière satisfaction… et qui vous comblera, soyez-en certain(e). J’espère donc que vous me répondrez rapidement. Je reste à votre disposition pour tout complément d’information, et vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées. Armando Cortillez. »

« Boston, le 07-09-94. Monsieur, après examen de votre candidature et de votre CV, nous avons le plaisir de vous informer que vous avez été retenu pour le poste à pourvoir. Votre annonce arrivée la première indiquant votre promptitude à réagir, et votre parcours difficile de Porto Rico à New York puis Boston, ont retenu notre attention, et nous poussent à vous aider dans votre volonté de vous insérer dans la société américaine. Avant votre embauche définitive, veuillez au préalable remplir ce petit questionnaire à nous renvoyer au plus vite. Vivez-vous seul ? Avez-vous des amis ? Un conjoint ? Quel est votre emploi du temps ? Quels sont vos rapports avec la police ? Avec les autorités en général ? Avez-vous un casier judiciaire ? Si oui, avez-vous déjà tué ? Dans tous les cas, seriez-vous capable de tuer pour une très grosse somme d’argent ? Répondez franchement à ces questions, même si elles vous paraissent incongrues. Elles sont à retourner à la société Forfait : votre première mission, pour un montant d’un million de dollars, peut commencer dans la semaine. Cordialement. »

« Boston, le 7-9-94. Je vis seul et n’ai pas d’amis. Mon emploi du temps est : télé, marche, petites combines. J’ai donc un casier judiciaire, et je suis en mauvais rapport avec la police. Mais je n’ai pas du tout envie de tuer, et d’ailleurs j’ai appelé la police pour dénoncer votre réponse, car vous me semblez une société bizarre. »

« Boston, le 08-09-94. Monsieur, veuillez trouver ci-joint un chèque d’un montant d’un million de dollars, et dans le colis les différentes pièces d’un pistolet équipé d’un silencieux, avec notice explicative de montage et un lot de balles. La police ne nous menacera pas : notre société n’existe pas. En revanche, veuillez noter que vous êtes maintenant constamment surveillé, nuit et jour, dans vos moindres faits et gestes, vos moindres déplacements sont analysés ; et votre ligne est sur table d’écoute. Le moindre faux-pas vous sera fatal. Vous trouverez en marge de ce courrier la liste des personnes à tuer, et la somme correspondante qui vous sera envoyée en cas de réussite. Vous noterez avec intérêt le forfait final de dix millions de dollars pour une dernière cible qui ne vous sera dévoilée qu’au moment voulu. Notez les adresses et les heures précises où vous pourrez agir avec un maximum d’efficacité. Et n’oubliez pas : nous vous surveillons de très près. Ne cherchez donc pas à contacter la police ou des connaissances. Cordialement. »

*

Titres à la une du Boston Chronicle :

9-9-94 : « Mort de Mr William Hardwire, président de Defcon Armement. Assassiné au cours d’une garden party, probablement avec un silencieux… »

11-9-94 : « Assassinat de John Cubcah, le puissant magnat de la presse du Sun Belt. Sa mort coïncide avec celle de William Hardwire deux jours plus tôt… »

15-9-94 : « Assassinat mystérieux dans un restaurant du centre de Boston : Ron Mills, le haut magistrat à la cour de cassation et conseiller juridique du président, a été abattu par un inconnu qui n’a pu être identifié… »

17-9-94 : « Et de quatre ! Alastair McBain, trésorier du parti républicain, est la nouvelle victime du psychopathe insaisissable qui s’en prend depuis une semaine à de hautes personnalités du gouvernement fédéral. »

20-9-94 : « Jack Munroe, le procureur de Virginie, en visite à Boston, assassiné par le même déséquilibré recherché par toutes les polices. Le mode opératoire correspond… »

*

« Boston, le 21-09-94 : Monsieur, nous apprécions votre docilité facilitée par votre cachet qui se monte maintenant à trois millions de dollars. Sachez que de notre côté, nous avons assuré jusqu’ici votre protection en brouillant les pistes de la police grâce à certains de nos appuis dans leurs services, au sein du FBI, et dans le milieu. Sachez que votre travail s’achève avec votre dernière victime, qui vaut à elle-seule dix millions de dollars, ce qui constitue votre forfait final. Ce chèque a été inséré dans la doublure du colis.

« Arrivés à ce stade de notre collaboration, nous ne vous cachons pas notre inquiétude quant à votre avenir : en effet, votre nom et vos coordonnées ont été transmis aux services du FBI et à toutes les polices ; qui sont en route pour vous arrêter, et devraient débarquer chez vous dans les minutes qui viennent. Vous risquez donc d’être arrêté et inculpé pour cinq meurtres sur des personnalités influentes, et nous en sommes désolés. Bien sûr, personne ne croira votre version des faits, et les chèques ne sont pas encaissables en l’état.

« Nous faisons partie des strates gouvernementales responsables de la mort de Kennedy ; nous avons manipulé Oswald, nous avons écarté Nixon et nous œuvrons pour le maintien d’un certain équilibre national et mondial : vous ne pouvez rien contre nous. Mais il vous reste une solution pour échapper à la police : c’est notre forfait.

« Veuillez recevoir, Monsieur, l’expression de nos cordiales condoléances. »

*

Titre du Boston Chronicle du 22-9-94 :

« Mort d’Armando Cortillez, le tueur en série qui a assassiné plusieurs hauts dignitaires. Il s’est tiré une balle dans la tête peu de temps avant que son appartement ne brûle dans un incendie d’origine accidentelle… La police est arrivée trop tard sur les lieux… »

 


Volte-face

 

Note de l’auteur : Ce court-circuit, qui peut rappeler tant par le titre que par l’histoire le film homonyme de John Woo sorti en 1997 avec Nicolas Cage et John Travolta, a pourtant été écrit comme les autres vers le milieu des années 90, en marge du recueil « Histoires sous haute-tension » : en fait, il a été conçu et rédigé bien avant la sortie du film. Étant antérieur de plusieurs années au film, il ne s’agit en aucun cas d’un plagiat, mais bien d’une œuvre originale !

*

Qu’appelle-t-on une mission de routine dans le milieu du crime ? L’assassinat d’un individu gênant. Mais quand le destin vient s’en mêler et forcer les choses, tout devient subitement plus facile… Trop facile !

Quelque part en Italie, la maffia rata une occasion de rester dans l’ombre lorsqu’elle apprit la disparition du juge Leonardo Baratini, soldat de l’ombre de l’opération « Mains Propres ». Que fit la Pieuvre ? Aussitôt elle dépêcha l’un de ses suppôts, un sosie de Baratini, qui se grima autant que possible avec moult maquillages pour lui ressembler à la perfection : un petit gros avec une moustache et des lunettes carrées, le crin noir et le visage bouffi. Sa mission : se faire passer pour Baratini et agir dans le camp adverse en brouillant l’opération « Mains Propres » de l’intérieur, avec les mille et une subtiles manœuvres dont la maffia a le secret, et l’aide de quelques complices placés à des postes stratégiques du gouvernement…

L’imposture dura plusieurs semaines, la maffia guettant du mieux qu’elle le put l’hypothétique retour du vrai juge, dont on était sans nouvelles depuis plus longtemps encore.

Et puis il y eut, un certain soir, une conférence de presse en différé durant laquelle les journalistes purent interroger quatre des juges responsables de l’opération de nettoyage. Parmi eux se trouvait « Baratini 2 », qui sut se montrer aussi évasif que le vrai sur son absence prolongée : il prétextait la mise au point d’une opération coup de poing ultrasecrète visant à déséquilibrer l’adversaire en frappant sur son propre terrain ; la « corruption inversée » de certains maffieux, en d’autres termes une série de chantages forçant leur repentance. L’opération avait pour nom « Volte-face ». Aucun des autres juges n’en avait entendu parler, contrairement à certains magistrats ci-présents, qui surent expliquer l’affaire avec persuasion sans pour autant entrer dans les détails. Des magistrats connus des deux côtés de la barrière…

Au bout d’une heure d’explications, le lieu de conférence fut bouclé par la police, tandis qu’une panne de lumière plongeait la salle dans une obscurité partielle ; étrange succession d’incidents… Après une brève cohue, les responsables de la conférence calmèrent juges et journalistes, tandis qu’on faisait appel à un électricien chevronné, qui diagnostiqua un survoltage, et agit avec efficacité pour faire revenir la lumière en ces lieux à l’atmosphère plutôt… électrique !

Durant ce temps, plusieurs carabiniers et proches de Baratini commencèrent à critiquer le juge, le traitant d’imposteur, de maffieux, affirmant haut et fort que le vrai Baratini n’avait jamais conçu une telle opération, que cette histoire n’était là que pour endormir les esprits ! Mais comment prouver aux journalistes et magistrats incrédules que le Baratini qu’ils avaient en face d’eux n’était qu’un sosie, un faux-semblant, alors que l’illusion était parfaite ? La même tête, la même voix, les mêmes gestes, les mêmes promesses… Sur le coup, ce furent les carabiniers qui se firent mal voir, et passèrent pour des trouble-fêtes ; le Tartuffe de la justice se défendant lui-même en accusant les officiers d’être du côté de la maffia pour proférer pareilles insanités ! Autant essayer de prouver que le Silvio Berlusconi en place n’était que le frère jumeau du vrai, celui-ci s’étant volatilisé comme par enchantement ; que la vraie Cicciolina était en fait un garçon manqué plat comme une crêpe ; et que le pape était en fait d’ascendance africaine, était retourné dans son pays en plein désert, et avait laissé le soin à l’un de ses cardinaux de prendre sa place après une opération de chirurgie esthétique !

Baratini 2 avait une force de persuasion, un art consommé de la répartie, qui dépassait celui de ses détracteurs. Il alla jusqu’à leur imputer la panne de courant ! Pour le coup, les journalistes eux-mêmes commencèrent à lapider verbalement les accusateurs.

Quand les organisateurs parvinrent à ramener le calme, l’un des inspecteurs avança calmement vers Baratini 2 avec une grande enveloppe, et lui jura de clore l’incident en retirant  carabiniers et accusations après moult excuses… si le juge acceptait une simple vérification de routine. Celui-ci accepta. Bien mal lui en prit : il s’agissait, devant tout le monde, de tomber la veste, de soulever sa chemise et de montrer son ventre ! Fanfaronnade huée par l’assemblée, mais les autres juges insistèrent pour que cela fût fait. Baratini 2, acculé au pied du mur, s’exécuta, et dévoila avec gêne son ventre bombé.

L’inspecteur montra aux caméras l’absence de traces sur le ventre… puis il sortit de l’enveloppe des photos du vrai Baratini après sa greffe des deux reins : deux cicatrices inimitables ornaient la peau ! Des photos indiscutables, certifiées par huissier ! Et soudain l’inspecteur zélé se jeta sur le faux-semblant, lui arracha ses lunettes, sa moustache, sa perruque : les médias furent consternés ! Cette manière de pantalonnade digne de la commedia dell’arte survolta la foule ; l’imposteur fut arrêté et le policier applaudi…

Quand on lui demanda comment il avait pu deviner que ce parfait sosie n’était pas le vrai Baratini, le héros du jour révéla la vérité au cours d’un autre coup de théâtre : il fit venir sur le podium… l’électricien ! Un petit homme chauve, imberbe et le visage émacié : il déclara qu’il s’agissait… du vrai Leonardo Baratini ! Ancien électricien de son village natal reconverti dans la justice. Stupeur, consternation, scepticisme des spectateurs hallucinés ! Cet électricien en tenue de travail n’avait pas la tête du juge disparu ! Mais, preuve à l’appui, il en avait bien les cicatrices ! Et d’expliquer avec force détails que sa disparition était due en fait à un accident de la route l’ayant défiguré : après une séance de chirurgie esthétique, le vrai Baratini avait changé de tête mais pas de combat. Voyant l’imposteur prendre sa place dans les médias, il avait préparé sa contre-offensive : cette conférence de presse !

Car le faux Baratini avait pris le visage d’un homme… qui avait perdu le sien ! Un méchant coup de Jarnac du destin, et une nouvelle défaite de la Pieuvre !

 


« Je laverai »

 

Quoi de plus banal qu’un lavabo ?

Deux lavabos, peut-être ? Ou leurs robinets ? À vrai dire, il n’y a rien de bien excitant ou d’exaltant dans cette structure froide et pâle, blanche comme l’émail des dents, curviligne dans ses recoins faussement angulaires. Un objet désespérément banal. Mais qui s’en plaindra ? Un lavabo, c’est un objet utilitaire, bêtement fonctionnel. Voici la définition qu’en propose un dictionnaire : du latin « je laverai », le lavabo est un « appareil sanitaire en forme de cuvette et alimenté en eau, permettant de faire sa toilette ». Ainsi est sa vocation, tournée vers l’hygiène et la santé ; c’est tout. C’est du moins l’usage courant qu’en font les gens normaux.

Et maintenant, si on lui donnait… la parole ? Et des yeux, pour engranger des informations ? Et si le lavabo pouvait exprimer par lui-même ce qu’il vit ?

Complètement absurde, diront certains. Et pourtant, c’est fou ce qu’un simple fait divers de banlieue peut se transformer en une aventure étonnante quand on est un simple appareil utilitaire condamné à l’immobilité totale contre un mur !

*

« Une journée comme les autres. Je ne suis qu’un simple lavabo jauni par le temps et les cochons qui m’utilisent. On m’a installé dans un endroit miteux ; une toute petite salle de bains infestée de cafards et mille-pattes. D’ailleurs, il y en a régulièrement qui me sortent par le tuyau pour s’aventurer dans le monde des hommes. La pièce n’est éclairée que par un petit néon accroché au-dessus de moi. Quand quelqu’un vient et éclaire les lieux, je découvre mon monde : quatre murs marron et trempés d’humidité, un plafond blanc qui perd ses plaques de plâtre ; une cousine, la baignoire, aussi jaunie que moi. D’ailleurs, contrairement à moi, elle ne sert pas à se laver : les hommes y déposent des frusques trouées et sales. La tuyauterie rouille de partout. Les humains qui viennent régulièrement ici ont employé le mot « squat » pour désigner l’endroit.

Mon emploi du temps est assez cool : on vient m’utiliser surtout le matin ; quelques fois le midi, et parfois le soir. Le reste du temps on me laisse tranquille ; et je compte les insectes qui me chatouillent la tuyauterie pour passer le temps, ou j’écoute tous les bruits bizarres qui me parviennent d’au-delà des murs. Ils sont trois humains à vivre ici, et ceux qui viennent pour la première fois qualifient les lieux de sordides. Je ne sais pas ce que ça veut dire, pas plus que « squat », mais ce n’est pas grave, et je m’en fiche pas mal.

Les hommes viennent se laver au-dessus de moi, mais il arrive aussi qu’ils viennent faire un truc bizarre. Je ne parle pas des fois où ils viennent copuler ; ça j’ai vite compris de quoi il s’agissait. Mais je parle d’un drôle de cérémoniel : avec application et concentration, sur mon rebord ils déposent une sorte de poudre blanche que je prends toujours pour de la soude caustique, puis ils la divisent en plusieurs parts et l’absorbent par leur propre tuyauterie, par des petits orifices supplémentaires. C’est pas la peine de venir me voir pour se débarrasser de leur truc sans mon concours ; ils auraient plus vite fait de jeter leur soude caustique dans mes tuyaux que de la renifler eux-mêmes ! C’est à croire qu’ils veulent me rendre jaloux ! Mais je m’en fiche ; moi j’absorbe n’importe quoi. Ou presque. Même les insectes qui les répugnent tant ! Au moins, les insectes, je sais ce qu’ils font !

Voilà pour mon emploi du temps habituel. Mais aujourd’hui a l’air d’être un jour différent des autres, car le roi des lieux m’utilise d’une manière un peu moins coutumière, et je me rends compte que j’en ai encore à apprendre sur les créatures les plus bizarres de mon monde : après avoir passé des sortes de revêtements humains qu’il a appelé « chaussures » sous mon robinet avec un air de satisfaction, il a lavé d’autres revêtements appelés « vêtements « . Alors que ça, il le faisait avant dans mon confrère le bidet ! Bah, c’est lui que ça regarde !

Il sifflote, il a l’air content de lui. Il dit qu’il a faim, et qu’il va préparer le repas du jour. Chose étonnante, il me présente un gros couteau de cuisine trempé de leur liquide à eux, le sang ! Lui qui, semble-t-il, se plaint toujours d’être fauché au point de ne pouvoir se payer un… comment dit-il, déjà ? Un bifteck. Il lave sa lame sous mon robinet d’eau chaude, affute son métal sur mon émail – hé là, dis-donc, vieux, il y a d’autres endroits pour faire ça ! Tu vas m’abîmer ! T’as de la chance d’être plus grand que moi, sinon… Sinon quoi ? Accroché à mon mur, que voulez-vous que je fasse ?

Ça dure bien dix bonnes minutes, après quoi je me retrouve avec de vilaines traces ; mais on n’est plus à ça près. Moi, j’ai tout connu, y compris une copulation violente sur mon rebord qui a failli me déchausser du mur, après quoi il a fallu me réinstaller.

L’humain se baisse sous moi ; il déballe quelque chose. Voyons voir le menu…

Un bras d’homme ! Il le balance dans mon évier et le vide de tout son sang ! C’est un bras gauche. À l’index il y a une grosse bague dorée ; la même que j’ai vue il y a deux jours. Un grand type était venu ici pour se laver les mains (ça arrive aussi). Costume-cravate, l’air chic. C’est lui qui fournissait la poudre aux autres. Il ne doit plus en rester grand-chose, à l’heure qu’il est !

Le maître des lieux à l’émail noir dépèce le bras, enlève les os. Il lave l’intérieur avec entrain. Découpe avec application les muscles qu’il exfolie en fines tranches. Amusant. Mais qu’est-ce qu’il veut en faire ?

« Hey, Joey ! On ne mourra pas de faim, ce midi ! » lance-t-il en rigolant.

Mais visiblement, ce qu’il vise des yeux c’est surtout la grosse bague, et elle doit avoir une certaine valeur vu son regard affamé !

Le problème, c’est que son compagnon ne répond pas. D’habitude, le dénommé Joey répond toujours. Mais pas là. Et cet humain-ci, dénommé James, est d’un naturel très méfiant. Il a une peur exubérante des humains à l’émail rose. Il les hait. Un rien, et il croit que c’est eux qui rappliquent.

James laisse son couteau sur mon rebord, avec le bras. Il ferme l’eau chaude, et se fiche pas mal de voir sortir un ou deux cafards échaudés. D’ailleurs, en général, mes pauvres occupants, il les malmène un peu trop, je trouve ! Son regard plein de méfiance est déjà ailleurs. De son jean, il sort un appendice métallique. Quand il s’en sert, je sais que ça fait du bruit et des dégâts. Donc c’est pas bon pour moi, ça ! J’ai déjà écopé deux fois de vilaines éraflures avec ces « couteaux » qui agissent à distance…

Il regarde vers la porte entrouverte. Lors tout se précipite : les « émaux-roses » surgissent et usent des mêmes appendices. Détonations violentes. James est percé de partout, et la glace qui me surplombe se brise. Les débris tombent sur le bras ; la tête de James tombe sur mon rebord avant de disparaître sous mon corps, non sans avoir laissé, encore une fois, bien du rouge sur mon émail censé être blanc.

Ceux-là, j’en ai déjà entendu parler : on les appelle des « flics », je ne sais pas pourquoi. Je constate qu’ils ne supportent pas la vue du bras, qui les fait plus fuir que les bestioles que j’ai à leur proposer.

« James Rokey est mort ; le trafic de drogue est démantelé.

― Quand je pense à la façon dont ils ont zigouillé le caïd et les revendeurs. Mickey, on vit dans un monde de névrosés. Quelle époque !

― Ouais, en attendant on condamne ce bâtiment : sur ordre de la mairie, il doit être démantelé et rasé dans quelques mois. La scientifique va passer ; on remballe et on décarre. »

James est ramassé. Les bras enveloppés dans un sac plastique. L’un des flics s’occupe de me nettoyer un peu. Pour une fois. Puis il ferme le robinet. Le reste de la journée ils font des tas d’allées et venues pour noter des tas de détails que j’ignore ; ils appellent ça « indices », je crois.

Puis, avec le temps, les concerts de voix s’estompent ; la lumière est éteinte, je demeure dans une obscurité partielle, le peu de lumière venant de l’entrebâillement de la porte. Maintenant il y a une banderole jaune et blanche qui traverse l’espace. C’est bizarre, mais je crois que jamais plus je ne servirai. L’un des humains l’a laissé entendre, le bâtiment doit être rasé. C’est quoi, un bâtiment ? J’ai encore tellement à apprendre !

Je ne sers plus que de lieu de passage à mes amis les insectes, car plus aucun humain ne m’utilisera. Dommage ! Je les trouvais plutôt amusants ! Je ne laverai plus rien ni personne ; d’ailleurs les canalisations ne font plus circuler d’eau. Avant de mourir, de disparaître avec mon mur, j’ai encore la chance de voir des rats me tenir compagnie et me sortir de ma thébaïde. Non pas que j’ai peur de rester seul, mais le besoin de se sentir utile est un sentiment très fort ; à n’en pas douter.

Tiens ? Que tient le premier rat dans sa gueule ? Un objet brillant que je n’identifie pas. Un indice, sans doute, qui leur aura échappé. Ah si ! Je reconnais la grosse bague, encore accrochée à son doigt ! Eh bien tant pis pour eux ! Ils ne le récupéreront pas, celui-là ! »

 


Brainclash

 

« You’re my mind. Are you ? You are ! »

Ce que le timide Christopher Grunt avait l’habitude de se répéter en regardant son joli minois dans une glace. Le type beau gosse, qui aurait pu suivre une carrière de mannequin si, en fait, il n’avait pas été aussi timide. Habitant dans le centre est de l’Irlande, non loin de Dundalk, il exerçait une profession beaucoup plus utile à ses concitoyens : le noble métier d’électricien. Beau, jeune, heureux en ménage, passionné par son petit boulot, la vie lui souriait élégamment.

Et puis il y eut cette matinée-là. En poste dans les encablures d’une ligne sous haute-tension défaillante située dans la campagne, il fut surpris par la pluie. Une averse battante tombée de gros cumulo-nimbus orageux. Il ne fallut pas une éternité ; il fut frappé par la foudre…

*

Des mois de coma. Retour à la vie. À une autre vie. Défiguré, cloué pour toujours dans un fauteuil roulant. Seuls sa femme Suzan et son meilleur pote Emilio Da Silva lui apportèrent réconfort et soutien durant son lent retour à la vie. Comme Da Silva disait toujours, tous les trois formaient les cinq doigts de la main : les deux derniers seraient les futurs enfants du couple, qu’il restait à faire.

Mais Grunt était maintenant au chômage ; et il était dépressif, la barbe hirsute, le cheveu revêche et la bouteille à portée de main. Il ne ressentait plus la joie comme jadis ; il se refermait sur lui-même… il « implosait », en quelque sorte. Même sorti de l’hôpital, de retour à la maison, et suivi par médecins et spécialistes.

« Oui, j’ai vécu le phénomène NDE comme les autres ; oui j’ai vu un grand tunnel blanc, de la lumière au bout et des personnages bizarres. Et alors ? Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ? Je suis cloué dans ce fauteuil et j’ai la tête de Frankenstein ; alors vos histoires à dormir debout, vous pouvez vous les carrer où je pense. »

Irritable, coléreux, désespéré, harassé par son fardeau, Grunt sentait son esprit s’écrouler, et son cerveau lui jouait des tours. Et il découvrit d’étonnantes choses sur lui-même ; par exemple qu’il lui suffisait de vouloir quelque chose pour que cela se fasse. C’était indiscutable et désormais il fallait faire avec ; cela ne souffrait aucune logique rationnelle. De fait, ce qu’il avait dit au spécialiste se réalisa effectivement ; et le soir même on le retrouva mort dans son salon avec son rapport d’expertise enfoncé dans l’arrière-train…

Grunt souhaitait recouvrer l’usage de ses jambes : cela se fit, et le miraculé fit la une de toutes les gazettes du coin, bien que les explications rationnelles étaient encore possibles à ce stade-là. Retrouver son visage d’antan fut pourtant impossible, ce qu’il ne s’expliqua pas non plus ; et sa femme finit par le quitter par dépit, mais bien aidée par les avances d’un bel étalon au visage plus avantageux.

Explication devant la glace : « You’re my mind. Are you ? You are ! »

Grunt eut le pouvoir d’ »hypnotiser » Suzan et de la ramener au bercail. En prime il lui fit un gosse. De son côté, Da Silva s’inquiétait du changement maléfique de son copain. Il n’était plus tout à fait humain ; il devenait autre chose. Il pétait les plombs, et en plus il avait acquis d’étranges capacités !

L’amant de sa femme, un soi-disant mentaliste et prestidigitateur du dimanche, Grunt sut s’en occuper. Il le mit au pied du mur. Ou plutôt au pied d’une simple porte fermée. Et le défia :

« Que voyez-vous derrière cette porte ? Allons, imaginez ce que vous voulez ; amusez-vous ! Allez-y, prouvez-moi que vous savez aussi bien jouer aux cartes de Zenner que vous taper ma femme ! Non ? Vous ne voyez pas ? Si je vous disais qu’il s’agit d’un salon, me croirez-vous ? Peut-être, peut-être pas ? Pourquoi ne serait-ce pas une grande plage de sable blanc aux eaux turquoise et aux grands palmiers verts ? Ou bien une prairie ? Oui, c’est ça : la clé des champs ! Vous entendez le galop des chevaux qui arrivent ? Peut-être des pompiers ! Non, des toilettes ! Oui, c’est ça : des toilettes, et la chasse d’eau retentit. »

L’amant entendit en effet le ressac de la mer, le galop des chevaux, les sirènes des pompiers, le bruit de chasse d’eau avec l’odeur en prime derrière la porte. Mais tout ça venait de Grunt et n’était pas forcément avéré. Malgré tout, le rival était terrorisé par ce qui pouvait arriver.

« Je vous méprise, vous autres les charlatans ; parce que vous dites mais ne voyez rien. Moi, je ne vois pas ; je dis et j’imagine, et ce que je pense se réalise : c’est le contraire. Qu’est-ce qui est le plus fort ? Le diseur ou le faiseur ? Vous devriez vous reconvertir. Moi, je fus électricien ; vous, vous serez défonceur de portes ouvertes. C’est ce que vous avez toujours été. »

Boum ! La porte explosa, et l’amant fut déchiqueté par des débris de bois.

*

La police allait venir, alertée par Suzan. Celle-ci, éplorée, s’enfuit avec le bébé. Da Silva, apeuré, déglutit.

« Chris, je… Je ne te reconnais plus. Tu es devenu si… si violent, si maléfique, si irascible… Et ces pouvoirs que tu détiens ; d’où te viennent-ils ?

― Émilio, mon cher ami, tu ne m’as jamais compris. Depuis mon accident, j’ai acquis le pouvoir. Je peux agir comme bon me semble ; plus rien ne m’est impossible !

― La police va arriver…

― Je me fous de la police ! Si je veux les tuer tous, alors j’abattrai ce pays !

― Je suis ton pote, Chris. J’ai toujours été de ton côté. Qu’est-ce que tu vas me faire ?

― Rien… Je souhaite simplement que tu comprennes ce que j’ai compris ; que tu saches ce que j’ai vécu comme enfer ; et alors tu sauras réellement ce que j’ai pu endurer comme souffrances depuis mon accident. Émilio, ceci est la fin. Je ne me sens pas capable de vivre indéfiniment dans la peau d’un monstre. Méphisto, Quasimodo, la Bête… Qu’est-ce que je suis devenu, mon Dieu ?

― Chris, je t’aiderai ; je serai avec toi jusqu’au bout.

― Non, barre-toi. Je ne veux plus te voir ! Je veux rester seul ! Tu m’entends ? Fous le camp ! »

Da Silva gémit. Il sentit ses pieds glisser vers la sortie ; il partit bien malgré lui, entraîné par quelque force inconnue.

Les sirènes de police retentissaient dans le quartier.

Grunt regarda son visage dans ce grand miroir qu’il connaissait bien :

« You’re my mind. Are you ? You are ! »

Il prit des poses. S’entraîna à jouer les cow-boys ; à dégainer un revolver avant d’affronter des hordes méprisantes et méprisables. Mais que souhaitait Grunt ? Non, ce n’était pas vraiment ça. Pas les affronter ! Pas jouer l’antéchrist et démolir le monde ! Qu’est-ce qu’il en avait à foutre, du monde ?

Grunt pardonnait à sa femme. À son copain aussi. Mais il ne se pardonnait pas son existence brisée par le fatum et les malheurs. Il souhaitait… mourir.

Oui, mourir, tout simplement.

Il dégaina ses doigts une dernière fois ; une détonation partit : son reflet venait de dégainer un vrai revolver ; la balle pulvérisa le miroir ; Grunt la prit en plein cœur. Il mourut sur le coup.

*

Da Silva comprit alors ce que son copain avait pu ressentir, toute l’horreur de quelques secondes d’éternité suspendues entre la vie et la mort, l’être et le non-être.

Recherché un court moment pour avoir fui du domicile de son copain, il percuta avec sa voiture un transformateur électrique, sous les encablures d’une ligne à haute-tension défaillante située dans la campagne. Éjecté hors de sa cage de Faraday, il fut surpris par la pluie ; une averse battante tombée de gros cumulo-nimbus orageux. Il ne fallut pas une éternité… Lors il comprit ! Encore un vœu de Grunt réalisé !

Il fut frappé par la foudre…

 


Cynos

 

Les histoires de tueurs en série sont légion, aussi est-il inutile de s’attarder trop longuement sur ce sujet. On notera toutefois avec intérêt ce fait divers arrivé dans la banlieue de Rennes il y a quelque temps.

C’était un jour de pluie bien banal ; Victor Morand était en congé maladie suite à une grosse grippe. Mécanicien à l’usine Citroën, il habitait le quartier Villejean. Il vivait seul dans un petit appartement avec son chien Bronx. Bronx était un berger allemand de quatre ans acheté adulte il y a peu, lors du passage annuel de la Foire d’Hiver en centre ville… ou plutôt en marge de celle-ci, lors d’un trafic pas très légal. Donc, pas de pédigrée, pas de tatouage, pas d’origine. D’ailleurs Morand s’en moquait.

En ce jour d’octobre la pluie tombait avec rage sur les immeubles de Villejean, et Morand était avachi dans son fauteuil, devant sa télé. Au programme, l’un de ces feuilletons américains insipides auquel il ne prêtait guère attention, le nez plutôt plongé dans son journal. Au menu des faits divers dont il raffolait : une série de morts perpétrée sur… des chiens et des chats ! Douze cadavres retrouvés un peu partout dans les caves de plusieurs immeubles ces derniers jours. Douze tas de chair déchiquetés, dépecés, vidés, toutes races confondues. Le quartier était subjugué, et la ville entière se posait des questions. L’hypothèse la plus crédible : vandalisme, cruauté d’un maniaque envers les animaux, voire ésotérisme de la part de jeunes en mal de sensations fortes. La police enquêtait, et les commérages allaient bon train. Tout un chacun redoublait de vigilance, surtout s’il s’agissait de descendre dans les caves de Villejean.

« Incroyable… dit Morand à Bronx. C’est dégueulasse, ce qui peut arriver aujourd’hui ! On vit vraiment une époque de dingues ! Faudrait foutre les coupables en taule, moi je dis ! »

Morand scruta son fidèle compagnon couché à ses pieds : celui-ci releva la tête et le scruta en silence, oreilles dressées.

« En tout cas, toi tu ne descendras pas dans la cave jusqu’à nouvel ordre, c’est compris ? Oui, je sais que tu comprends, bon chien ! Plus je te parle et plus je me dis que tu comprends ce que je te dis. Toi, t’es sacrément intelligent, pas vrai ? »

En guise de réponse, Bronx aboya avec approbation.

Un peu plus tard il se leva et alla se positionner devant la porte d’entrée avant d’aboyer.

« Tu veux sortir ? T’as une course urgente ? Ouais, c’est bien ça le problème avec vous ! Ils n’ont pas encore inventé la litière pour chiens ! Mais moi je n’ai pas le droit de sortir avec ma crève, et dehors il fait un temps de chien – excuse-moi : de chiotte ! Cette fois encore je vais te laisser sortir tout seul ; la porte du hall d’entrée est ouverte : le gardien doit être dans les parages. Et ne me dis pas qu’un petit étage à descendre c’est crevant ! Mais souviens-toi : je te surveille ! »

Morand ouvrit donc la porte ; Bronx sortit et descendit l’escalier. Son maître le surveilla par la fenêtre : son chien passa et disparut dans la rue déserte et trempée…

*

Une demi-heure plus tard, alors qu’il décortiquait la page « sports » de son journal, et pestait sur les mauvais résultats du Stade rennais ; Morand sursauta : un grand boum dans l’un de ses carreaux le fit bondir de son fauteuil. Une tête de berger allemand ensanglantée roula sur son tapis !

« Bronx ! Non, c’est pas possible ! »

Morand cria d’effroi. Pas le temps de se ressaisir : la sonnette de l’interphone retentit avec force. Morand n’avait pas de balcon ; il se pencha par une fenêtre : en bas, le corps du chien gisait sur le trottoir, mais il n’y avait personne, pas même le gardien. La sonnette se tu. Un instant Morand conçut l’idée qu’on puisse venir lui chercher des problèmes ; il se rua donc sur son téléphone… et découvrit avec dépit que le fil avait été boulotté par Bronx ! Pas moyen d’appeler la police ; son portable étant par ailleurs cassé.

La sonnerie de l’entrée retentit ! Morand sauta au plafond. Se précipita à la porte d’entrée, qu’il verrouilla. Dans le judas, personne. Sur le petit palier, le voisin d’en face n’était pas là de la journée ; il ne pouvait être alerté de l’incident. En revanche la lumière était allumée : l’individu devait se cacher dans l’angle mort à droite ; et par moments il continuait à faire brailler la sonnette.

« Barrez-vous ou j’appelle la police ! » cria Morand.

En une seconde le judas devint tout noir : le malfaiteur bouchait la vue !

Puis tout se calma. Le silence revint. Morand allait et venait en se lamentant, horrifié et désespéré par la vision de cette tête de canidé qui gisait dans la place, son fidèle compagnon victime de ce malade qui s’en prenait aux animaux dans le quartier ! Une chose était d’envisager de surgir sur le palier pour lui faire la peau, lui faire payer toute cette cruauté ; une autre était de concrétiser une telle idée, alors que l’autre avait l’air d’être un vrai psychopathe bien déterminé !

Il retourna au judas : plus personne. Il entendit un gros bruit un étage plus bas, puis des aboiements que Morand reconnut. Bronx montait !

« Mais alors… l’autre chien ? »

Un autre berger, sans doute ! Morand ouvrit la porte avec précipitation pour accueillir Bronx avec joie. Le chien glapissait, mais ce que son maître découvrit le terrifia : il était couvert de sang ! Il n’eut pas le temps de réagir : Bronx grogna, lui sauta dessus et referma sur lui ses griffes et ses crocs. Puis, mû par une étonnante intelligence, il traîna le cadavre dans le salon et referma la porte avec sa tête, prêt à dépecer sa première victime humaine…

 


Le verso de la page

 

« Où vont-ils chercher tout ça ? » se dit-on généralement à propos des écrivains à l’imagination débordante. Il est vrai que les faiseurs de rêve ont toujours du répondant et savent créer des histoires riches en rebondissements, pleines d’inventivité et fertiles en séquences oniriques. Mais il y a parfois le revers de la médaille, l’envers du miroir, ou, ainsi que l’on pourrait l’exprimer dans leur cas, le verso de la page…

Nils Tanner était de ceux-là. Petit écrivain sans prétention, il excellait surtout dans les histoires horrifiques ou les petits polars de seconde zone. Voilà bien trois semaines qu’il bûchait sur une nouvelle au titre évocateur, pour ne pas dire racoleur, « le Livre de l’Enfer » : l’histoire d’une hécatombe dans un immeuble provoquée par un vieux grimoire que l’un des locataires avait retrouvé dans ses cartons, au fond de son garage.

Les premiers chapitres faisaient traîner le suspense en longueur ; Tanner s’attardant surtout sur la psychologie des personnages et les considérations d’ordre social du type « c’était un immeuble sordide de banlieue comme on en trouve des tas aujourd’hui parce qu’il faut bien le dire le gouvernement ne fait rien pour améliorer l’habitat et il se fout complètement des revendications légitimes du peuple, même que je connais un type qui connait un gars du gouvernement selon qui les projets immobiliers sont cyniquement écartés, que c’est voulu et que c’est une honte, etc. » Mais Tanner s’était rattrapé au chapitre précédent en faisant intervenir le fameux livre infernal dans son récit, le clou de l’histoire qui s’était fait longuement attendre… et que personne n’attendait plus, d’ailleurs !

Donc, le-locataire-de-la-porte-24-au-deuxième-étage-au-fond-du-couloir-en-sortant-de-l’ascenseur, avait enfin réussi à mettre la main sur le bouquin, et il l’avait ramené chez lui en jubilant d’excitation. Et là, suspense… On arrivait au énième chapitre, dans lequel le grimoire montrait de quoi il était capable.

Tanner s’inspira de l’ambiance sordide de son taudis crasseux, avec murs gris, haut plafond et petite ampoule suspendue, grosse vitre grillagée et tuyauterie protubérante à l’ambiance néo-industrielle ; car il habitait une ancienne usine réaménagée en logements sociaux ; mais qui commençait à dater parce que le gouvernement, etc., etc. Il pleuvait des hallebardes, et le ciel était tellement assombri par de grosses strates de nuages noirs que Tanner avait dû allumer la petite ampoule centrale accrochée au bout de son long fil. Autant de détails qu’il retranscrivit dans son manuscrit. Assez « old school » dans l’âme, il ne s’embarrassait pas d’écrire sur un ordi ou une machine, mais il œuvrait à l’encre bleue dans des cahiers scolaires ! De toute façon il n’espérait plus être édité un jour…

Ce chapitre fut différent de tous les autres ; le bouquin en question commençait à se déchaîner au bout de cinq pages seulement : le voisin du 57 hurlait et tombait par la fenêtre. C’était atroce ! Surtout que le camion à ordures passait juste en bas à ce moment-là !

Tanner sursauta quand il vit une ombre passer devant sa fenêtre. Il s’y précipita, essuya ses carreaux pleins de buée, regarda en bas : il ne vit rien. Juste la grosse benne de chantier pleine de détritus ramenée par l’entreprise de BTP qui travaillait dans la rue. Il se gratta la tête. Retourna à ses moutons…

Les locataires 29, 34, 58, 35, 11 et 26 y passèrent tous dans la demi-heure qui suivit, mais ce n’était pas pour le loto ! Tous furent tués dans des circonstances étranges et indescriptibles, et « Monsieur 24 » commençait à se poser des questions sur ce drôle de grimoire orné d’un joli pentacle en or qu’il venait à peine d’ouvrir sur une gravure de squelette à cheval. Ouf ! Ça commençait vraiment à chauffer dans la baraque !

Tanner souffla cinq minutes. Il s’alluma une cigarette. But un verre de Johnny Walker, dont la trace du fond sur sa table en bois lui rappela vaguement un pentacle… Il s’observa dans sa psyché : C’était marrant, mais assis sur le bord de sa table, avec la chaise, les rouleaux de papier, les vêtements qui traînaient ; l’ensemble donnait une vague silhouette de cavalier psychédélique en demi-teinte à la Salvador Dali !

Bon, c’était pas tout ça, mais reprise du récit… aussitôt interrompue par des sirènes de police ! Les flics investirent son immeuble ; tandis que des voisins poussaient des cris d’effroi. Impossible de se concentrer dans le vacarme général qui suivit. La sonnette retentit ; Tanner alla ouvrir.

« Inspecteur Nolland, de la brigade criminelle. Vous êtes monsieur Tanner ?

― Oui, pourquoi ? C’est quoi, tous ces cris, dans l’immeuble ?

― Il vient d’y avoir sept morts dans votre immeuble ; une vraie hécatombe ! Avez-vous vu ou entendu quelque chose ou quelqu’un de suspect durant la dernière demi-heure ?

― Hein ? Sept morts ? Mais comment ? Ils sont morts de quoi ?

― Oh, c’est assez divers : une défenestration, un cramé au four, une femme charcutée au couteau de cuisine. Tout porte à croire qu’il s’agit de sept meurtres.  Et chez vous, y a-t-il quelque chose à nous signaler ?

― Non, bien sur que non… Je vis seul, et je n’ai rien vu…

― Vous permettez que nous jetions un rapide coup d’œil ? Le criminel, quel qu’il soit, ne doit pas être loin…

― Je vous en prie, faites… »

Les policiers vérifièrent chaque pièce du studio sous les yeux effarés de Tanner. Rapide coup d’œil de Nolland à son manuscrit :

« Vous faisiez quoi, dans la demi-heure ?

― Euh… Pas grand-chose. Comme vous le voyez, j’écrivais. Je suis écrivain.

― Quel style ?

― Policier, épouvante ; rien de bien palpitant, si je puis dire… répondit l’intéressé avec une certaine gêne et en se raclant la gorge.

― Pas palpitant ? C’est vous qui le dites ! »

Nolland regarda Tanner droit dans les yeux, dans un face à face assez intense ; le flic cherchant à sonder l’âme de l’écrivain, aussi suspect que les autres. Puis il rappela ses hommes et s’apprêta à repartir, non sans laisser ses coordonnées :

« Si vous avez quelque chose à nous dire, vous savez où nous joindre, et au besoin nous vous recontacterons. Restez disponible pour tout complément d’information. En attendant, vous aurez quelque chose de palpitant à raconter… »

La police quitta le studio.

Tanner souffla. Il ne savait pas pourquoi, mais il souffla quand-même.

Il se replongea dans son récit ; où – tiens, pourquoi pas ? – il ne manqua pas d’inclure la police et Nolland : les investigations, les interrogatoires, une longue et fastidieuse enquête… Sans entrer dans les détails, juste en effleurant le sujet par un raccourci narratif. Dans ce chapitre, contrairement aux autres, tout devait aller très vite. Une cassure de rythme qui devenait figure de style. Le sujet principal, ce n’étaient pas les humains, mais ce foutu livre !

Suite de la malédiction : l’inspecteur repartait bredouille, mais au coin de la rue sa voiture venait s’écraser bêtement contre un réverbère. Au même moment Tanner entendit un gros « boum », un bruit de fracas suivi d’une explosion. Des passants crièrent ; mais Tanner, consterné, n’osa pas se lever pour aller voir à sa fenêtre. Cependant il vit monter un gros panache de fumée et des étincelles jaunes dans le quartier.

Tanner s’arrêta, pris de panique, sans trop croire à ce qu’il voyait. Ou le refusant !

Il reprit « prudemment » la narration de sa nouvelle : le héros, « Monsieur 24 », comprenant le danger que représentait le livre, décida qu’il était temps de le détruire, non sans avoir au préalable achevé de le feuilleter. Dernière page de droite : le protagoniste tentait de déchiffrer un code druidique insoluble ; et la dernière ligne disait : « Tournez la page ; alors vous connaîtrez votre sort ».

« Monsieur 24 » tourna la page et découvrit, consterné… une grosse tache de sang sur la dernière page de gauche. Puis il mourut à son tour, terrassé…

Mais non, c’était absurde ! Tanner voulait tuer le livre, pas le mec ! Il fallait revoir la fin !

Comme dans le récit, il tourna la page de son propre cahier… Il se redressa quand il se rendit compte que la lumière de sa petite ampoule donnait des signes de faiblesse et oscillait de plus en plus. Tanner leva les yeux vers son plafond… quand il vit une petite poutrelle de l’ossature se détacher en couinant. Il n’eut aucun réflexe…

Elle vint lui fracasser la tête contre son cahier : il y eut une grosse tache de sang sur la dernière page de gauche du cahier… comme dans l’histoire !

 


Sage comme une image

 

Joshua était un enfant sage.

Joshua avait peur de rester seul quand ses parents n’étaient pas là ; aussi avait-il pris l’habitude de s’enfermer dans sa chambre ; la porte de son petit monde étant en effet munie d’une serrure. Il avait douze ans, et ce soir-là ses parents le laissèrent seul dans ce vaste appartement, un soir pluvieux et froid, en lui donnant quelques instructions. Eux, ils allaient à un rendez-vous spécial, mais ne tarderaient pas à revenir.

Quelles instructions ? Premièrement, ne pas sortir de la maison. Deuxièmement, ne répondre à personne, ni à la porte d’entrée, ni au téléphone. Troisièmement, ne pas paniquer, car papa et maman revenaient vite.

Donc, il s’était claquemuré dans sa chambre, avec ses posters des Avengers, de Batman, de Mask Rider et des catcheurs du moment pour le veiller, et ses jouets en tous genres ; des tas de petits monstres auxquels il ne voulait pas jouer dans l’immédiat. Sur sa porte, dans un réflexe infantile majeur, il avait mis l’écriteau « ne pas déranger » bien en évidence avant de s’enfermer… Il s’occupa à jouer ou à regarder un film sur sa tablette…

L’orage grondait ; et lui, apeuré, s’était enfoui sous la couette de son lit. Un rien lui faisait peur : ses figurines de monstres, ses posters, les moindres ombres filtrant à travers ses volets clos. Il entendit le téléphone sonner bien longtemps, mais il suivit les instructions à la lettre et refusa de sortir de sa chambre, son blockhaus, sa forteresse, sa prison. Il resta blotti dans son lit, son refuge, à scruter un Street Shark bondissant punaisé sur sa porte. Plus tard ce fut à la porte d’entrée que l’on sonna. Cinq, dix minutes, puis plus rien. Joshua gémit d’angoisse, avide du retour de ses parents. Envie d’uriner : il fit dans le pot prévu à cet effet.

Gros roulement et déchirement de tonnerre tonitruant. Il sursauta.

Il entendit de grosses bottes de père fouettard marteler le sol. C’étaient forcément les voisins du dessus. Non ! Des coups dans le mur de sa chambre ! Quelques coups violents, puis plus rien !

La poignée de sa porte tourna lentement, son cœur bondit. Soudain, la porte fut violemment secouée ; il y eut des coups de poing dedans ! Joshua cria. Il appela ses parents, pleura, se réfugia sous ses draps, se boucha les yeux et les oreilles, enfoui sous son indestructible bouclier d’enfant, son champ de force imaginaire, qu’aucun danger au monde ne pouvait braver : sa couverture !

Il attendit longtemps dans le noir, inerte, infinitésimal, ailleurs par l’esprit, faisant silence pour ne pas attirer l’attention, tablette éteinte.

Il y eut un terrible coup de semonce quand le tonnerre claqua ; Joshua se redressa par réflexe : dans le noir, à l’autre bout de sa chambre, l’immense silhouette de son père, dont les yeux brillaient de mépris ! Il sursauta encore plus. Son père lança :

« Nous t’avons donné pour troisième instruction de ne pas paniquer jusqu’à notre retour. Tu nous as désobéi, petit bâtard ! Tu as eu peur, je vais donc te punir ! »

Le père malade s’approcha de son rejeton adoptif, le quatrième enfant unique passé par cette maison, avec un couteau de boucher – son instrument de travail, car il était boucher de profession, et avait toujours su s’approvisionner en viande en ces temps de crise…

Joshua serait très vite remplacé…

*

Sylvain était un enfant sage.

Sylvain avait peur de rester seul quand ses parents n’étaient pas là…

 


L’opportuniste

 

Je suis ce que l’on a coutume d’appeler un opportuniste. Autrement dit je suis un profiteur, ce genre de type qui glisse de situation en situation pour avancer dans le cours de son existence en profitant des aubaines circonstancielles apportées parfois sur un plateau d’argent par des quidams qui ne se doutent pas de ma redoutable efficacité. Car je dois le reconnaître, chez moi cette caractéristique est devenue un don, un sixième sens, un art consommé de la prévisualisation, me permettant d’anticiper et alpaguer l’opportunité la moins évidente ou la plus dangereuse pour la transformer en une occasion en or. Certains disent que j’ai une chance de cocu, mais je n’ai pas de vie familiale. Ma faculté de glisser ainsi entre les circonstances et de jouer avec en domptant le cours de ma vie est devenue proverbiale. Je suis un mythe, une légende urbaine. J’en ai entendu qui parlaient de moi en ne croyant pas en mon existence, car ce que j’ai vécu n’est peut-être plus tout à fait humain. Je suis la chanson de Jacques Dutronc puissance dix. Ou plutôt l’un de ces cas exceptionnels que l’on raconte parfois ; un trompe-la-mort comme Roy Sullivan, l’homme paratonnerre, ou James McClatchey, l’homme aux cent crises cardiaques !

Qu’il me soit permis de vous narrer par exemple une anecdote qui m’est arrivée il n’y a pas si longtemps, lorsque je comptais fleurette avec la pègre, mais pour mon propre compte. Mon but étant d’avancer dans la vie en me foutant des moyens mis en œuvre pour y parvenir, j’ai toujours aimé tutoyer le danger et frôler la mort par le biais de nouvelles expériences ; et là, je dois le dire, j’ai été servi.

La bande de Nick Belasco sévissait dans la ville. Quand je dis « sévissait », j’entends par là qu’il monopolisait le marché noir, blanchissait l’argent sous le couvert d’entreprises de bonne facture, présentant des façades d’honnêteté, mettait son nez dans certains cartels, nourrissait le trafic de drogue, et soudoyait de hauts fonctionnaires pour que ceux-ci ferment les yeux sur ses actions. Comme il disait, « la bonne recette du meneur consiste à trouver le cœur pourri, à l’amadouer avec de grosses liasses et à lui fermer les yeux et la bouche ». L’équation tenait à ceci : cœur faible égale mains enrichis égale yeux et langues inertes. Et comme il présentait à la une des journaux un faciès de bienfaiteur parce qu’il finançait des centres d’insertion sociale ou des œuvres caritatives ou humanitaires, l’opinion publique aimait ce type. Pas moi.

Un jour j’ai eu l’opportunité de m’infiltrer dans son équipe de choc quand il recruta quelques hommes de main pour lancer une opération de trafic d’armes. Il voulait en effet équiper sa bande de jouets dernier cri lui permettant d’imposer sa loi contre les cartels, et par là s’approprier certains marchés juteux en lien avec le trafic de drogue. Il était en rapport avec des trafiquants russes et ukrainiens. Certains disaient que Belasco était prêt à acheter de l’uranium appauvri pour exercer une autre forme de chantage sur ses adversaires. « Quoi ? Vous n’acceptez pas mon marché ? Tant pis pour vous ! Tôt ou tard vous le regretterez ! » Et le pigeon crevait de toutes sortes de cancers peu de temps après parce que Belasco avait infesté sa baraque à l’uranium, et les légistes n’y voyaient que du feu : la famille était décimée, mais l’affaire se retrouvait classée sans suite ! Surtout après avoir arrosé quelques gros pontes de la police !

Connaissant son plan, j’ai filmé l’arrivage des armes la nuit où il décida d’agir ; ainsi que certaines des conversations les plus privées et les plus exhaustives sur cette affaire. Je voulais tout envoyer à une grande chaîne d’infos nationale pour le faire chuter de son piédestal. Pas à la police, qu’il avait dans sa poche, mais à une grande chaîne, que je savais étrangère à ses tentacules grandissants. Je voulais le voir passer du blanc livide au bleu syncope, puis au rouge furieux, avant qu’il ne se tire une balle dans la tête ; je voulais le voir crever mais sans me compromettre. Je voulais en somme faire justice. En soi, c’était idiot ; mais c’était ce qui me motivait.

Quand ses molosses m’ont piqué, j’avais déjà planqué les bandes vidéo dans une cachette où personne n’irait les débusquer. Elles étaient si bien planquées que personne ne pouvait prétendre découvrir un jour la preuve du double visage de Belasco sans mon aide. Et c’était bien parti, car ce jour-là il était assez en pétard pour avoir prononcé ma condamnation à mort, mais cette ordure était suffisamment sadique pour m’avoir concocté son fameux « Chant de l’Enfer », une torture mortelle dont il était friand, et qui faisait sa réputation dans le milieu.

Ce fut ainsi que je me retrouvai harnaché à une drôle de machine moyenâgeuse en version modernisée ; debout contre une sorte de cylindre extensible, les bras attachés en l’air, les jambes ancrées au sol : j’allais mourir écartelé ! Et plus encore ! Ce genre de torture était en général aussi insoutenable pour un sbire non préparé que pour la victime ; c’est pourquoi en l’occurrence elle était gérée par un petit ordinateur : elle était automatisée ! On n’a jamais arrêté le progrès ! Comme ça, longtemps après le départ de Belasco et ses hommes de main, personne ne m’entendrait pousser le « Chant de l’Enfer » : je ne pourrai apitoyer ni soudoyer personne ! Pas de supplique ! Pas de mea culpa possible ! J’étais vraiment cuit ! Et même le deal proposé en dernier recours par mon tortionnaire ne sonnait pas comme une issue, mais comme un gros mensonge !

J’étais là, debout, arrimé à cette installation, et Belasco et ses chiens en costard cravate me lançaient des regards brûlants, sourires sadiques au coin des lèvres. L’écarteleur venait d’être mis en route ; il lui faudrait pas moins de quinze minutes pour faire de moi un puzzle flasque à reconstituer par les longues soirées d’hiver. Vitesse réduite, à faible allure la machine me laisserait le temps de bien revivre ma vie par moult flashbacks et regretter ainsi ma trahison. En réalité, ce petit frisson presque jouissif devant la mort qui approchait lentement de moi, m’était des plus familiers. Un plaisir coupable, digne de tout maso avide de sensations fortes.

« Comme je te l’ai dit, mon ami, ta dernière chance de sauver ta peau est de me dire où tu as caché les films ; dit un Belasco narquois. Dans treize minutes il faudra te ramasser à la petite cuiller, mais comme je n’en ai pas, je laisserai mes dobermans faire le nettoyage à mon retour. Nous serons loin, car quelqu’un veut nous voir à l’autre bout de la ville pour parler affaires ; et contrairement à Gino, je ne pense pas que notre mystérieux correspondant soit une de tes dernières lubies : tu n’es pas assez intelligent pour nous téléphoner trente minutes avant ta capture afin de nous faire croire qu’un grand ponte de la drogue veut nous céder toutes les parts de marché de la région en échange de la paix ; et tout ça pour que tu crèves dans ton coin ! Rassure-toi, petit opportuniste sans avenir, qui que tu sois, quand tu mourras nous serons loin, et quand les flics trouveront tes restes, notre alibi sera en béton : nous étions en affaires avec un grand magna du commerce. La machine te laisse un sursis d’un peu plus de dix minutes maintenant, mais le mien est plus court : je te laisse une minute pour parler, après quoi nous partons et je te laisse à ton triste sort, sans possibilité d’appeler à l’aide. À toi de choisir, minable. »

Son marché, c’était du vent ; mais je le laissais causer tout en ressentant des douleurs grandissantes dans mes muscles bandés au maximum. Mes os commençaient à craquer, et ses sbires se marraient. C’était du vent, car aucun supplicié n’en avait réchappé, même après avoir parlé. Je n’avais aucune raison de me mettre à table. Et blablabla, et blablabla ! C’est ça, continue de causer, vieux ! Tu m’intéresses ! En fait, j’étais pressé que toute la clique se barre d’ici ! Il avait si bien mordu à mon hameçon, que le crochet lui sortait par les yeux et l’aveuglait. Eh oui, c’est moi qui menais le jeu ! À cet instant, personne, non personne, ne pouvait se douter de ce que j’avais prévu ! Belasco irait à son rendez-vous avec ses chiourmes comme je l’avais calculé, mais il n’y aurait personne à l’adresse que j’avais donnée. En fait, ça me laissait assez de temps pour agir.

Il me prit la tête dans ses grosses paluches, son cigare vissé dans des molaires noires :

« Tu es à un cheveu de la mort et tu t’obstines à garder le silence ? Je comprends pas une telle obstination. Tu crois que je vais trembler à cause de ces films ? Tu crois pouvoir ébranler  mon empire ? Tu es prêt à mourir pour une chimère ? T’as vraiment rien compris, l’ami. Pour la dernière fois, où sont les films ?

― Sans moi ces films sont introuvables, alors pourquoi tu fais dans ton froc, Belasco ? À ma mort personne ne les retrouvera, donc tu ne crains rien. Maintenant tire-toi, va à ton rendez-vous… Tu restes intouchable. Laisse-moi ma fierté.

― Patron, laissez-moi lui balancer une bastos entre les yeux, qu’on en finisse ! Il ne parlera pas, cet abruti ! »

Belasco relâcha son étreinte en réfléchissant. Il prit son cigare entre les doigts et me brûla au front. Je hurlai avant l’heure.

« Tu me parles de fierté en un instant pareil ? Dans quelques minutes tu n’en auras plus à revendre ! Je te croyais intelligent, mais je me suis trompé sur ton compte ! »

Il regarda sa montre et s’éloigna :

« C’est bientôt l’heure. On se casse sans laisser de traces. Laissez ce minable se faire écarteler, si ça lui chante. Cedant arma togae, comme disait Cicéron, et retournons à nos moutons. »

Belasco et ses lèche-bottes évacuèrent ce grand appart, certains se foutaient de moi, et d’autres me giflèrent. L’un d’eux me cracha au visage en lançant de façon spirituelle :

« Sauve-toi toi-même, le Messie ! »

Une minute plus tard il n’y avait plus personne, et je me retrouvais seul, quasi-crucifié dans ce bel appart situé dans le quartier chic de la ville. Je souffrais le martyre, les douleurs allaient crescendo, l’ordinateur n’avait aucune pitié à revendre. Dans quelques minutes j’allais mourir, les tractions me disloqueraient. J’allais me déchirer de l’intérieur, puis de l’extérieur, et vider mes tripes sur le tapis et le canapé en skaï qui me faisait face. Je regardai l’horloge accrochée au mur d’en face. « Il » allait agir, « il » devait le faire ! Je l’avais calculé comme ça ! J’étais et je restais l’opportuniste ! C’était maintenant ou jamais ! Je criai de douleur. Ça devenait insupportable ! C’était une sensation horrible d’entendre ses os craquer les uns après les autres sans rien pouvoir faire !

Je commençais à tourner de l’œil, des flashs plein les yeux. Je brûlais de partout ! Maintenant, mon vieux ! Maintenant ! Suicide-toi maintenant !

Horloge digitale : 15:05 PM. Vas-y ! Maintenant !

Dans la seconde, une extraordinaire explosion se produisit et pulvérisa le mur derrière moi, souffla tous les meubles et les grandes baies vitrées, et arracha l’écarteleur. Le blast m’envoya par-dessus le canapé. Le feu envahit l’appart, et la fumée nappa l’atmosphère, mais les sprinklers éjectèrent leur eau.

Je gisais dans les décombres, sonné mais libre. Il me fallut quelques minutes pour me remettre ; les pompiers n’allaient pas tarder à débouler. Je rampai au sol et récupérai les films scotchés contre une paroi du vide-ordures. J’avais bluffé : n’importe qui les aurait trouvés un jour ou l’autre, mais pas avant longtemps. Fallait être gonflé pour les avoir placardés dans un conduit de vide-ordures, hors de portée d’une main baladeuse ou d’un jet de lumière de lampe-torche, au niveau de l’appartement d’un caïd de la pègre qui allait être mis sous scellé par la police durant le temps d’une longue et fastidieuse enquête, empêchant n’importe quel fouineur d’aller y chercher une preuve là où officiellement il n’y en avait pas. J’avais planqué la preuve… chez lui-même ! Là où il n’irait pas la chercher ! Et le plus sûr moyen de la récupérer était d’envoyer tout le monde en ballade. Si quelqu’un était resté, j’aurais été flingué. Beaucoup seraient morts dans l’explosion, mais j’aurais été flingué, car je n’étais pas armé. La connaissance des adversaires et de leurs envies de nouvelles affaires juteuses faisait le reste.

Trop grosse, la coïncidence de l’explosion, me direz-vous. La coïncidence, c’est vrai, il ne faut pas l’attendre : il faut la provoquer. Je savais que le seul voisin mitoyen de Belasco était un petit loser adepte des courses hippiques. Et je le savais instable, porté sur la bouteille et les médocs, depuis que sa petite amie était sur le point de le plaquer parce qu’il avait claqué toutes leurs économies dans les courses. Par ailleurs j’avais lu son dossier médical, car j’étais le meilleur des fouineurs : déjà deux tentatives de suicide au gaz, dont une en provoquant une étincelle avec son briquet. C’était son troisième appart !

Avant de brancher Belasco sur un faux eldorado, j’avais donc appelé ce minable pour lui dire que j’étais le nouveau petit ami de sa copine, que j’étais prêt à balancer : si à quinze heures moi ou sa défunte petite amie (que j’avais préalablement refroidie), on ne le rappelait pas pour lui dire qu’on avait rompu, ça voulait dire qu’on s’était cassé ensemble ! À quinze heures, le crucifié ne pouvait appeler car il était bien occupé en salle des tortures ; le voisin instable, cyclothymique et dépressif, et sommes toutes très influençable, se suiciderait au gaz : il allumerait sa gazinière à fond, fermerait ses fenêtres et userait de son briquet, angoissé d’entendre en plus des cris d’agonie derrière son mur, qu’il penserait provenir de son propre crâne ! Et c’est ce qui se produisit. Comme quoi, le suicide des uns fait le bonheur des autres ! Surtout des opportunistes…

Le soir même la chaîne de télé retransmettait mes documents compromettants, une enquête judiciaire était ouverte, Belasco se retrouvait coffré quelques temps par des flics non corrompus, ne pouvant avouer ce qu’il m’avait fait sans se compromettre davantage ; et moi je disparaissais dans la nature, comme un démon qu’on ne peut trucider, m’inscrivant désormais dans les légendes urbaines qui font frémir les uns et laissent les autres dubitatifs. Selon les opportunités.

 


Malesuada Fames

 

« Chéri, c’est la première fois qu’une foire s’arrête chez nous ! C’est vraiment une idée lumineuse de la part des organisateurs ! Tous les enfants vont vouloir y aller, et grâce à toi des centaines de charmants bambins seront comblés de joie !

― Ce n’est pas seulement grâce à moi, mon amour. C’est aussi grâce aux autres conseillers municipaux : on y a tous mis du nôtre pour convaincre Monsieur le maire de laisser cette foire s’installer un mois dans notre village.

― Oui, mais l’idée était de toi. Un jour ils reconnaîtront qu’ils te doivent tout.

― Un jour, peut-être, si je deviens maire. »

Le couple s’embrassa tendrement devant l’entrée d’une foire ambulante déjà bondée de monde, où s’alignaient des kyrielles de stands et des manèges tournoyants, dans une débauche de couleurs, de lumières, de mouvements et de cris. La nuit tombait, et la foire s’offrait à un public venu en nombre, pour son premier soir dans cette petite ville tranquille des montagnes. Autant dire que c’était l’événement de l’année à des kilomètres à la ronde !

Stan Bold était un conseiller municipal estimé, qui travaillait bien pour les administrés. Son principal souci était de donner du tonus à la région, d’attirer la main d’œuvre et les touristes en multipliant les initiatives sociales, économiques et culturelles. En attendant, un jour peut-être, de devenir à son tour le modeste et sympathique élu de ce petit monde sans histoire. Et qu’importe au juste, s’il ne fut jamais en mesure de dire d’où venait cette foire ; elle avait demandé l’autorisation de faire escale ici pour  la première fois, ses papiers étaient en règle, et l’aubaine était trop belle de mettre un peu d’animation dans le patelin d’ordinaire si paisible, qui n’avait connu que des visites de touristes, voire des vides-greniers, mais surtout pas de station de ski, bien trop chère. Bold s’en était tenu aux formalités administratives sans chercher à vérifier au-delà. Nulle enquête n’avait donc été faite sur les forains, et personne ne s’en était plaint : c’était le principal. Ils avaient l’air honnête, et à cheval sur la sécurité, c’est tout ce qui importait.

Son souci immédiat était plus de garder un œil sur son fils Joey, qui tout excité de découvrir ce monde enchanteur, allait et venait entre les stands en gloussant avec jouissance. « Regarde, papa ! », « Oh, t’as vu ça ? »,  « Ouah, c’est super, il faut que j’essaye ! » Et le gamin, de tenir si fort les doigts de son père, qu’il lui fit mal.

« Arrête, Joey ! Si ça continue tu vas m’arracher les doigts ! gronda le père en se massant une main. Regarde, tu as failli m’arracher mon alliance ! »

Joey se calma en regardant son père réajuster la bague dorée sur son annulaire, sous le regard attendri et amusé de la mère.

« Oh, dis papa ! Je pourrai faire de l’auto-tamponneuse ? Et puis je voudrais une barbe à papa ! Ou une pomme d’amour ! Ou un kebab ! Oh oui, un kebab ! Oh, et t’as vu ce manège, là-bas ? Toutes les toupies qui tournent, c’est génial !

― O.K., O.K. ! Chaque chose en son temps, bonhomme ! Tu n’es pas à cinq minutes près, j’espère. Calme-toi, on a toute la soirée.

― Salut, Stan. Ça va ?

― Vince ! Ça boume ?

― Comme tu vois. Cette foire, c’est une sacrée bonne idée de notre part ; fit le collègue en regardant avec gêne le rejeton. Le conseil est ravi, et le maire aux anges. D’ailleurs, ils sont tous dans le coin ; j’en ai même vu qui testaient déjà les manèges ! Imagine le gros Donkey sur le grand huit ! Si tu entends un tremblement de terre, ne cherche plus : c’est lui !

― Et ta femme ? Elle est où ?

― Papa, papa ! lança le gamin en tirant sur le manteau de son père.

― Je crois qu’elle est partie au petit coin. Elle a fait un tour dans le Space Warrior, et elle ne s’en est pas remise. Il faut que je la retrouve. Hem ! Est-ce que je pourrais te parler à part ?

― Papa !

― Oui ! Qu’est-ce qu’il y a ?

― Charley est là-bas ! Je peux le rejoindre, dis ?

― Oui, mais ne t’éloigne pas trop. Je veux t’avoir à l’œil. »

Joey rejoignit Charley à un stand de loterie. C’était son grand copain de toujours ; il faisait les quatre-cent coups avec lui. Les deux mômes avaient les yeux écarquillés devant des tonnes de peluches : c’était la première fois qu’ils en voyaient autant. Chaque stand les attirait de ses lumières, de la voix bruyante de son forain vantant son jeu dans son micro, ou de sa musique tonitruante. Il y avait un monde fou, autant de jeunes que d’adultes. Et dans les spots psychédéliques, voire stroboscopiques, les manèges lançaient leurs machines infernales dans tous les sens, pour le plus grand plaisir des badauds. Les volutes de fumée du train fantôme fusaient vers le palais des glaces installé en face. C’était la féerie totale !

Joey se tourna vers ses parents ; son père lui fit quelques signes explicites, notamment le majeur et l’index vers ses yeux pour lui signifier qu’il voulait le garder à l’œil. Puis le couple reprit une discussion apparemment soutenue avec Vince et un autre adulte, qui semblait nerveux, voire inquiet, et les minutes qui suivirent, les visages parurent fermés, voire graves. Ah, ce monde d’adultes ! Fallait pas être pressé d’y entrer, ça avait l’air drôlement stressant !

« Bon, qu’est-ce qu’on fait ? demanda Charley.

― Je dois pas bouger, c’est mon père qui me l’a dit.

― Attends, regarde là-bas ! C’est Pauline ! Elle nous fait signe ! On va aller faire de l’auto-tamponneuse, ça va être génial !

― Non, on attend là !

― On est qu’à quelques mètres ! Allez viens ! C’est pas comme si on se perdait ! Et puis si je deviens le copain de Pauline, je dirai que c’est grâce à toi, et je te paierai un kebab.

― Un kebab… Glomp !

― Ouais, un gros bien juteux ! Sens-moi déjà l’odeur ! Je salive déjà ! »

Joey déglutit. Il obtempéra à contrecœur. Puis finalement se laissa glisser dans l’instant en oubliant la mise en garde du paternel. Sur le bord de piste il parla un peu avec Pauline et quelques autres camarades de classe, puis jeta un coup d’œil vers ses parents, devant le stand de la Maison Rigolote. Entre les panaches de fumée et la foule compacte, il crut les voir s’éloigner, puis disparaître !

« Qu’est-ce qu’il y a, Jo ?

― Mes parents : ils ne sont plus là ! Ils doivent me chercher !

― Mais non ! Allez viens ! On va rigoler ! On a un paquet de jetons pour les autos ! On va se marrer un bon moment ; dit une Pauline insistante.

― Pense à ton succulent kebab, juteux et croustillant ! » rappela Charley avec force persuasion.

Joey suivit ses camarades sur la piste et oublia tout le reste dans une envolée de chocs d’auto-tamponneuses, de courses animées et d’éclats de rires, où les gamins s’explosèrent avec jubilation durant un temps non quantifiable. Ils firent en fait plusieurs tours avant de décider de passer à autre chose, Joey ravalant son sentiment de culpabilité généré par sa désobéissance. Hop ! Un coup de train fantôme dans lequel les cris et les rires alternèrent dans une pénombre calculée, et où surgissaient des monstres très kitsch dans leurs costumes de carnaval ringards. Comme toujours, Pauline et ses copines crièrent plus que les garçons, en tout cas plus fort. Un autre bon moment, donc…

Mais lorsque Joey ressortit de là, il se sentit tout chose, et les autres aussi. Le mal de mer ? Ça y ressemblait. Mais un petit train fantôme, ça ne devait pas faire ça. Peut-être que la conscience de Joey le travaillait, et qu’il se disait qu’il allait se recevoir une méchante réprimande avec interdiction de sortie de longue durée. Ou c’était peut-être ce drôle de gaz vert dans lequel ils étaient passés qui les rendait groggys. Ce même gaz vert qu’on pouvait voir comme un trucage de ciné, sortant de toutes les animations de la foire, et qui semblait abrutir l’esprit des gens. Ça ne les rendait pas amorphes, mais ils avaient l’air plus bête que d’habitude ! Plus enclins à se jeter dans l’instant sans aucun esprit critique. Un peu ivres, en somme. C’était assez bizarre à définir…

Ou alors c’était la faim :

« Bon, on se le mange, ce kebab ? »

Tout le monde fut d’accord. Les jeunes vinrent s’attrouper autour d’un vendeur de sandwich, qui leur lança des grands sourires, avant de répondre à leurs commandes. Le temps qu’elles arrivent, ils scrutèrent les alentours : les panaches de gaz vert se faisaient plus insistants, les manèges tournaient, la musique tambourinait sur des tempos frénétiques, les lumières virevoltaient, les forains aguichaient les badauds, et la fête battait son plein. Un peu trop d’ailleurs…

« C’est bizarre. On dirait qu’il y a moins d’adultes que tout à l’heure ! dit Joey, qui surprit les autres. Faut que je retrouve papa et maman. Ils ont disparu.

― Tu dérailles ? rétorqua Charley, sceptique. Le train fantôme te monte à la tête.

― Vos kebabs, les enfants » ; annonça le vendeur.

La petite troupe paya et s’éloigna, Charley enlaçant une Pauline peu farouche : objectif atteint ! Regardant tout le spectacle des sons et lumières de la foire embrumée dans une nuit tombante teintée de vert, ils entamèrent les sandwiches par les frites et les oignons. Avant d’attaquer dans le vif du sujet.

« Succulent ! lança Charley.

― Le mien est un peu dur, je trouve ; dit Pauline.

― Ils n’ont pas le même goût que d’habitude », fit un Joey décidément sceptique.

Et quand il croqua à pleines dents dedans, il se fit mal aux dents en pensant tomber sur une fève. Il ouvrit son kebab. Hurla comme un hystérique. Le lâcha par terre. Regarda les autres jeunes, tremblant comme une feuille. Puis se heurta au sourire narquois du vendeur : dans le kebab, un doigt. Sur le doigt, une alliance dorée. C’était son père !

La foire se fournissait en viande auprès des adultes. Pour ne garder que les enfants. Le temps de se rendre compte de la situation, et ils étaient déjà pris au piège. Pour quelque sombre dessein machiavélique. C’était fini, ils ne pourraient ressortir de cette étrange foire furtive qui cachait bien son jeu !

 


Les ubiquistes

 

Ce matin-là, Hervé Lambert, modeste agent et courtier en assurances, quitta son domicile pour se rendre comme de coutume à son travail ; et comme toujours, il croisa sa concierge, madame Legendre, dans la cage d’escalier. Celle-ci, une femme corpulente d’une cinquantaine d’années au visage buriné par les épreuves de la vie, échangea avec lui quelques banalités coutumières sur les intempéries, l’insécurité, le courrier, le voisinage ; puis il la salua et quitta son immeuble en ouvrant son parapluie, qu’il déploya devant lui. Au risque d’être à deux doigts de trébucher sur un caniche, dont le propriétaire ne manqua pas de râler, dans le genre « Vous ne pouvez pas regardez où vous allez ? » Un petit franchouillard moustachu emmitouflé dans son imper, la tête dans son feutre, et l’ensemble sous un parapluie Hermès. Lambert se confondit en excuses et passa son chemin.

Avant de rejoindre sa Fiat, il fit un détour par le buraliste du coin qu’il connaissait bien. Monsieur Rodier était un quarantenaire élancé qui portait des lunettes aux montures rouges criardes qui faisaient jaser sa femme, ce qui donnait lieu ensuite à des commentaires amusés entre lui et Lambert. Pour l’heure celui-ci s’acheta ses Rothmans, paya, salua et sortit. Il rejoignit sa Fiat stationnée sur un parking voisin, et comme tous les matins pluvieux, il eut le plus grand mal à la démarrer. Une vieille Fiat Uno bleue qui nécessitait pas moins d’une demi-douzaine d’essais pour enfin entendre le moteur tourner mollement.

Malgré ce petit désagrément, Lambert se rendit à son travail sans trop de problèmes, à l’exception d’une circulation difficile et une météo détraquée. Arrivé à bon port, en entrant, il salua Marguerite, la jolie secrétaire aux yeux si pâles, puis s’assit à son bureau. À peine eut-il le temps de considérer ses dossiers que son patron, monsieur Lucas, un quinquagénaire au crâne dégarni et au regard sévère, vint lui poser une nouvelle mission pour ce début de semaine : aller porter en mains propres un dossier à un nouveau client, une petite entreprise, un opticien nommé Grandlieu ; et le cas échéant finaliser les termes de son contrat.

Ni une ni deux, Lambert repartit donc avec un nouveau dossier dans sa sacoche et quitta les locaux. Malheureusement il en vint à s’énerver contre sa vieille Fiat qui, avec cette météo humide, ne voulut pas redémarrer. Le temps de prévenir monsieur Lucas, et Lambert fut autorisé à mettre plus de temps que prévu pour rejoindre l’opticien Grandlieu.

Il fut donc amené à prendre le bus. Et là, première surprise : le chauffeur, à qui il acheta un ticket, était le portrait craché de monsieur Rodier, son buraliste. Un jumeau ! Une copie exacte ! « Quoi ? Qu’est-ce que vous avez, à me regarder comme ça ? », lui lança le conducteur. Interloqué, Lambert baissa les yeux, passa son chemin et alla s’asseoir vers l’arrière.

Plus tard, des contrôleurs montèrent dans le bus, et là, autre surprise : lorsque l’un d’eux vérifia le ticket de Lambert en relevant sa casquette, celui-ci découvrit la tête… du passant au chien ! Mêmes traits, même corpulence ! Mais dans un uniforme de la société de transport ! Il en resta bouche bée. Le contrôleur lui rendit son regard et rejoignit son collègue en commentant de drôle de passager.

Arrivé dans la rue de l’opticien, Lambert descendit et parcourut les derniers hectomètres à pied, parapluie ouvert, la sacoche à la main. Il croisa une mendiante en haillons sous un porche, non loin de poubelles et de cartons. Elle lui demanda une pièce, il refusa, mais sursauta en découvrant son visage sous son châle : c’était le portrait craché de sa concierge, madame Legendre ! Ce même regard, ce même visage buriné ! Lambert, un peu inquiet devant tant de coïncidences, accéléra le pas. Jusqu’à traverser à un passage piéton devant une voiture qui fut obligée de piler. Dedans, le conducteur rouspéta : il avait la tête de… Rodier, son buraliste !

Le cœur battant, Lambert rejoignit le trottoir, où un gendarme lui fit une courte remontrance : le sosie parfait de son patron, monsieur Lucas !

« Monsieur… Lucas ? fit Lambert, sidéré.

― Je vous demande pardon ?

― Non, rien… Vous me rappelez trait pour trait mon employeur…

― Eh bien j’en suis ravi ! Allez, circulez ! »

Lambert se précipita jusqu’à la devanture de l’opticien Grandlieu. Il entra et exposa maladroitement le but de sa visite. Maladroitement, parce que l’employé qui le reçut n’était autre que le double parfait du passant au chien ! Celui-ci lui demanda de patienter, car il allait prévenir son employeur. Il disparut dans l’arrière-boutique.

Pendant ce temps, Lambert poireauta debout, adressant un timide « Bonjour » aux autres employés, qui allaient ici ou là entre les étalages de montures de lunettes en s’occupant de leurs clients respectifs : au menu de cette scène déroutante, Marguerite, la jolie secrétaire aux yeux pâles, ici avec des lunettes en plus ; monsieur Lucas en tant que collègue souriant ; la femme de Rodier en tant que caissière ; monsieur Rodier, cette fois sans lunettes.

Le facteur entra et déposa un colis en faisant signer un reçu : énième passant au chien ! Ils étaient tous dédoublés, jusqu’à un point difficilement quantifiable ! Triplés ! Quadruplés ! Quintuplés ! Peut-être plus ! Ils vaquaient innocemment à leurs occupations routinières sans le moins du monde se douter ou se préoccuper du problème de Lambert, dans une omniprésence sidérante, une ronde des doublons de plus en plus inquiétante ; et par là oppressante…

Les clients ? Ici madame Legendre ; là monsieur Rodier ! Un troisième fut le second contrôleur du bus. Dehors : monsieur Lucas attendant un taxi. Un client du bureau de tabac aperçu lors de son achat, ici marchant dans la rue dans une tenue complètement différente. Tiens ? Encore madame Legendre ! Aucune explication rationnelle ne pouvait être envisagée en cet instant. Ils ne pouvaient quand même pas tous avoir des jumeaux ; madame Legendre était même fille unique selon ce qu’il en savait ! Et pourtant toutes ces têtes étaient bien réelles, et personne ne portait de masque grossier pour faire une énorme farce à ce pauvre courtier. D’ailleurs ça ne tenait pas debout ! Lambert défaillit, trébucha presque, mais se ressaisit.

« Je rêve… se dit-il. Elle est où, la caméra cachée ? »

L’employé revint et dit à Lambert de le suivre.

Ils traversèrent un couloir jusqu’à une porte au fond, où le passant au chien, cette fois en simple polo, l’introduisit dans le bureau du patron avant de repartir…

Et quel patron !  Hervé Lambert en personne ! Son double, son reflet dans un miroir !

Échange de courtoisies. Il fut invité à s’asseoir. Il défaillit, respira profondément, se laissa tomber sur son siège…

« Eh bien, vous n’avez pas l’air dans votre assiette ! lui dit son double. Vous êtes tout pâle ! »

Les yeux exorbités, Lambert regarda son interlocuteur et lui demanda :

« Vous… vous appelez comment ?

― Gilbert Grandlieu. Mais dites-moi ce qui ne va pas… »

Quelqu’un frappa à la porte. Grandlieu dit d’entrer. Un troisième Lambert entra et déposa le colis du facteur sur le bureau. Lambert, premier du nom, hocha la tête. Il n’était plus du tout dans son assiette, mais dans un état second. Très perturbé, il sentit la réalité lui échapper…

« Ce… Ce n’est pas possible… Je deviens fou… » marmonna-t-il.

Lorsque le troisième sortit, il empoigna une statuette sur le bureau, et la fracassa sur la tête de Grandlieu. Celui-ci, ensanglanté, s’écroula. Lambert se releva en trébuchant. Lors, il vit Grandlieu disparaître de son siège. Et lorsqu’il considéra ses mains tremblantes, il les vit devenir transparentes. Puis ses jambes. Puis tout son corps.

Puis il disparut, et avec lui, tous les Lambert, tous ses doubles qui avaient sa tête…

Lui, et les autres…

 


Koma, presque mort

 

Branle-bas de combat dans ce petit hôpital de campagne qui, en cette fin d’après-midi orageuse, accueillit dans son service des urgences plusieurs accidentés dans des états variés mais assez graves. Médecins et infirmières firent tout pour les sauver au plus vite, dans une effervescence caractéristique. Certains patients en plein délire parlaient de la foudre et de choses étranges, mais il semblait difficile d’établir avec précision ce qui s’était passé. Dans la cohue générale, les pompiers évoquaient une explosion de type électrique, les policiers d’une foudre exceptionnelle, et quelques ambulanciers d’un vacarme de fin du monde. En tout cas, une petite usine des environs semblait être en cause. Quelques victimes en plein délire mirent en émoi des urgentistes lorsqu’elles firent péniblement cette supplication, qui revint souvent ; avec des variantes, mais un message commun :

« S’il vous plaît ! Ne le laissez pas faire ! Je vous en prie, pour l’amour du ciel, empêchez-le d’agir ! Il va venir ! Il va venir et tous nous emporter ! Arrêtez-le ! »

Dehors le tonnerre grondait, des éclairs intermittents zébraient l’air électrique, et une pluie torrentielle s’abattait sur la campagne assombrie. Les médecins, les chirurgiens, travaillèrent d’arrache-pied pour sauver un maximum de blessés ; malheureusement deux d’entre eux moururent assez vite ; trois autres restèrent dans un état très préoccupant, voire critique, avec un pronostic vital engagé ; d’autres aux blessures moyennes furent opérés dans l’heure ; un fut placé en soins intensifs, et ceux qui s’en sortaient le mieux physiquement étaient si traumatisés qu’après des interventions adéquates ils ne purent être interrogés sur ce qui s’était vraiment passé.

« Bon sang, quelle histoire ! souffla le docteur Vermont durant une pause, en compagnie de quelques collègues urgentistes. Je ne sais pas ce qui est arrivé à tous ces pauvres bougres, mais ça a dû être terrible.

― Oui, ça fait froid dans le dos, répondit le docteur Mills. Les récits se contredisent. Impossible d’avoir un compte-rendu cohérent ; mais apparemment leur usine a explosé à cause de l’orage.

― Bon, après toutes ces heures à tenter d’en sauver un maximum, je crois que j’ai eu ma dose pour aujourd’hui. Il est l’heure, je dois y aller ; j’ai encore à faire chez moi.

― Ouais, bon courage… »

De fait, le service se vida progressivement quand toutes les victimes reçurent des soins adaptés, et qu’il ne fut plus jugé nécessaire de maintenir cet état d’urgence dans le service. La nuit tomba, et l’effervescence des heures précédentes laissa la place à un certain calme général. Sonia, une jeune infirmière stagiaire chargée de veiller sur les convalescents, appréhenda de passer les heures suivantes dans cette lourde ambiance. Ses collègues partirent, sauf quelques médecins et infirmières de garde qui se rendirent à la cafétéria durant les minutes qui suivirent, dans une autre aile du bâtiment, au même étage.

Des minutes infinies… Sonia avait pour mission immédiate de veiller sur les patients en salle de réveil, ceux qui devaient normalement se remettre le plus vite. Seule dans ces immenses locaux, par temps d’orage, elle n’était pas très rassurée ; mais ce travail lui plaisait. Ce devait donc être une question d’habitude, après tout.

Au chevet d’une victime brûlée au second degré et couverte de bandages, elle la vit ouvrir les yeux, avec un air affolé qui la fit sursauter. Le patient l’agrippa par la main et lui dit dans un souffle rauque :

« S’il vous plaît ! Ne le laissez pas faire, je vous en prie ! »

Sonia contint sa panique, et mit le brûlé sous sédatif, ce qui le calma. Elle passa aux autres victimes : toutes plus ou moins brûlées, charcutées, et en état de choc. Et encore, il s’agissait ici de celles qui s’en sortaient le mieux ! Qu’avait-il pu leur arriver ? Et de qui parlaient-elles avec tant de peur ? Intriguée et angoissée, Sonia retourna à son poste de contrôle des chambres…

Peut-être une minute plus tard, une petite alarme retentit : la chambre 228, au fond du couloir ! Elle s’y précipita : peut-être que l’une des victimes revenue à elle-même rencontrait un problème, ou avait besoin de quelque chose.

Elle entra dans la chambre : non, rien de particulier. Ici, le patient était entièrement couvert de bandelettes de la tête aux pieds ; et il ne bougeait pas, calé au fond de son lit. L’électrocardiogramme et l’électroencéphalogramme indiquaient des fonctions physiologiques normales, ponctués par leurs « bips » réguliers. L’orage gronda derrière les volets. Le patient ne bougea pas d’un iota. Sonia retourna donc à son poste de contrôle…

Moins de trente secondes après, la même alarme retentit de nouveau : la chambre 228 ! Sonia, intriguée, y retourna derechef !

L’homme momifié dans ses bandelettes n’avait toujours pas bougé, et les appareils fonctionnaient normalement. Sonia vérifia l’ensemble de la chambre, sans résultat. Elle n’osa regarder cette silhouette abstraite, sans apparence, sans visage, avec une tête enrubannée et inerte. Il avait dû être sacrément touché, lui aussi, pensa la jeune femme, qui vérifia à nouveau l’ECG et l’EEG : R.A.S. ! Non, vraiment, rien ne justifiait l’enclenchement de l’alarme.

Nerveuse en ces circonstances particulières, elle préféra retourner à son poste de contrôle, se demandant ce que fichaient ses collègues, dans l’autre aile de l’étage. Elle tenta de les biper ; mais il n’y eu pas de réponse. Elle se sentit terriblement seule dans ce monde aseptisé, au milieu de tous ces malades et accidentés.

Et de trois ! L’alarme de la chambre 228 s’enclencha à nouveau ! Sonia vérifia l’état de la diode ; quand soudain un déchirement de tonnerre plongea l’établissement dans le noir ! Les plombs venaient de sauter !

« Non, impossible ! se dit Sonia, brutalement immergée dans l’obscurité. Les plombs d’un hôpital, ça ne saute pas ! Et le système auxiliaire, alors ? Bon sang, et les patients ? Qu’est-ce qu’ils vont devenir ? »

Paniquée, elle tenta d’appeler le docteur Vermont, sans succès. Le docteur Mills ? Pas mieux. Les pompiers, alors ? Non, plus de tonalité. Elle sortit dans ce vaste et sombre couloir sans comprendre comment cela avait pu se produire. Car normalement, ne cessait-elle de se répéter, les plombs d’un hôpital ne peuvent sauter, car tout est prévu pour empêcher ça ! Normalement !

Seule dans l’obscurité, elle avança doucement le long d’un mur, mais de chambre en chambre elle ne trouva… que des cadavres ! Tous les patients gisaient, inertes, certains avec des yeux révulsés ! Elle cria, seule dans la nuit tombée. Elle se rendit à la cafétéria : ses collègues auraient dû être de retour depuis longtemps ! Mais ce qu’elle découvrit lui glaça le sang et la fit crier : ils étaient calcinés, encore fumants, tandis qu’au plafond couraient des arcs d’énergie.

Prise de panique, Sonia courut. Lui revint en mémoire cette terrible requête : « Ne le laissez pas faire ! »

Elle prit un scalpel dans un rayonnage, qu’elle brandit comme une arme. Elle entendait sa propre respiration quelque peu accélérée ; et son battement de cœur puissant ; dans un univers de silence.

« C’est… c’est un cauchemar… Je vais me réveiller… » se dit-elle.

La jeune femme suivit le parcours emprunté par les arcs d’énergie, au plafond. D’où pouvaient-ils provenir ? Ils donnaient l’impression d’être vivants ! Ou d’être contrôlés ! Ils la menèrent… à la chambre 228 !

Sonia hésita longuement à entrer, à franchir cette porte pour la énième fois. Que pouvait-elle faire, avec un scalpel, contre de l’énergie ? En admettant que ce soit cet étrange patient le responsable, il fallait le trucider. Ces traces d’énergie avaient valeur de preuve, autant que des empreintes ! Oui, neutraliser ce monstre, que toutes les victimes de l’usine désignaient. C’était d’autant plus facile qu’il gisait, inerte, dans le coma, au fond de son lit.

Avec courage, Sonia se persuada d’agir, avant qu’il ne fasse d’autres victimes. Agir très vite, surgir et puis frapper ! À la une, se dit-elle… À la deux… toute tremblante… À la trois !

Elle surgit dans la chambre…

L’orage retentit, et un éclair révéla un lit… vide ! Le lit était vide !

Sonia paniqua.

Elle se retourna : dans l’obscurité, la silhouette humanoïde recouverte de bandelettes, debout devant elle ! Sonia hurla ! La silhouette leva une main, de laquelle irradia un flot d’énergie. Un arc électrique transperça la stagiaire, puis la créature sauta sur elle…

Sonia fut la dernière victime de l’hôpital.

Mais pas la dernière de cette créature d’énergie très rusée…

 


Les orgueilleux

 

C’était un monde bien lointain… Perdu quelque part dans la galaxie, un monde dominé par une monarchie centrale, avec à sa tête un souverain tout-puissant, Xer Dran ; et à ses pieds une cour importante qui s’évertuait à obtenir ses faveurs et à briller dans l’élite de cette planète. L’on s’y qualifiait d’ »Illustre », de « Magnifique », de « Superbe »…

Lors vint le jour solennel des Énantiarques, les seigneurs les plus reconnus, les plus érudits, les plus vertueux selon leurs propres paroles ; ceux qui géraient les vastes provinces et les contrées lointaines du royaume de Xer Dran. Ils se réunirent comme toutes les cyclades dans la salle du Grand Donjon de leur maître, et en sa présence, se flattèrent avec suffisance et mépris, cherchant à gagner les faveurs de leur maître pour lui succéder un jour.

« Fi, mon très cher ami, reconnaissez qu’il n’y a que moi qui suis en mesure de succéder à notre très cher souverain Xer Dran !

― Bah, bah, bah… Je ne puis en entendre plus de votre part ! Souffrez que je ne puisse reconnaître en vous quelque aptitude de cette nature, puisque je suis le plus qualifié d’entre tous ! Je dirige déjà les provinces de l’hémisphère sud avec le génie qui me sied tant !

― Majesté, n’écoutez point ces flagorneurs génuflectifs qui ne songent qu’à leur arrivisme : moi-seul vous ai été fidèle dans les campagnes contre les dissidents des Deux-Mille Archipels, moi-seul reconnais votre immense seigneurie !

― Diantre ! Votre sérénissime ne saurait s’accommoder des sifflements pervers de tous ces oiseaux de mauvais augure qui surnagent lamentablement dans votre auguste et céleste sillage ; cependant qu’elle conviendra de la supériorité de l’âme superbe qui est mienne dans la gestion exemplaire du continent 8. Mes œuvres montrent ma supériorité sur eux-tous.

― Que ne faut-il pas entendre là ! Vous, supérieur ? Que ce langage est choquant, mon cher ! Vous n’êtes, au plus, qu’à la moitié inférieure de mon revers !

― Veuillez retirer de suite ce propos outrecuidant, monstruosité verbale !

― Assez ! intervint le seigneur Xer Dran. Nous avons entendu suffisamment de joutes orales entre ces murs pour aujourd’hui.

― Non, votre célestissime ! Je refuse cette dernière accusation ! »

Et l’offensé sortit son pourfendeur, sorte de pistolet électrokinétique, puis il mit en joue son rival :

« Je dois vous punir pour l’offense que vous m’avez faite ! Je ne puis tolérer davantage ! »

Puis il abattit l’autre, mais l’hystérie s’empara des Énantiarques, et le donjon se remplit d’une improbable bataille entre tous ces égos démesurés. La garde du seigneur Xer Dran s’en mêla, mais ne put contenir l’effusion de violence intestine. Jusqu’à ce qu’il ne reste que Xer Dran, grièvement blessé par un tir perdu, à terre, et son plus fidèle prince, son antrustion en chef, qui sortit de l’ombre et s’approcha de lui en enjambant les morts. Il se pencha avec un air goguenard sur son roi agonisant.

Dans ses derniers instants, le souffle rauque, Xer Dran lui parla, une main sur son ventre ensanglanté :

« Nous reconnaissons en cette infamie l’œuvre des ténèbres qui t’habitent, Loc Mar ; et nous savons qu’en ton cœur perverti s’est forgé ce dessein macabre. Oui, tu es bien l’instigateur de tout ceci, maître de la perfidie ; tu les as montés les uns contre les autres en titillant leur orgueil sans limites. »

Et Loc Mar répondit :

« Il n’y a pas de place pour les orgueilleux en ton royaume, seigneur. Cette journée démontre que seuls les humbles dont je suis survivent à la folie humaine. »

Lors entra dans la grande salle un petit garçon, que Loc Mar présenta comme son fils illégitime, et comme le symbole de l’innocence et de l’humilité.

« L’avenir, annonça-t-il. Cet enfant est l’avenir de ton peuple. L’innocence et la modestie incarnées, celui qui nous délivrera de la médiocrité de ton règne, mais sans faire d’éclats ni de tapage. Il saura conquérir planètes et étoiles sans se perdre en autocongratulations, mais en reconnaissant toujours la supériorité de l’univers sur son règne. Voilà la vraie leçon de cette journée, Xer Dran… »

Loc Mar donna son pourfendeur à son fils et l’incita à abattre son roi ; qui mourut là, bien avant l’arrivée de la garde prétorienne.

Regardant la quatrième lune rouge sang, il conclut :

« Le vrai règne des ténèbres passe par une certaine humilité, mes amis. »

Il éclata de rire, et son cœur fut en fête.

Ainsi commença son règne, ou plutôt celui de son fils…

Mais quelques temps plus tard, lors de la conquête des étoiles, celui-ci fut pris dans un champ cosmique inconnu, et s’écrasa sur un monde médiéval dont il devint l’illustre souverain. Bien qu’amnésique il connut gloire et prospérité. On le surnomma l’ »Illustre », le « Magnifique », le « Superbe ». Et on l’appela Xer Dran, ou « Fils des Étoiles ». Par la suite sa cour, ses seigneurs de provinces, se fit appeler les Énantiarques, et elle compta dans ses rangs un certain Loc Mar. Lors ils s’enorgueillirent de leur réussite et de leurs possessions…

Telle était cette boucle temporelle…

C’était sur un monde lointain…

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Scroll Up